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Weesp, banlieue d’Amsterdam, 1828. En avril de cette année-là, Casparus Van Houten, un marchand d’épices et de café reconverti depuis peu dans la production de chocolat, dépose un brevet pour une presse hydraulique à cacao permettant de réduire de près de moitié le beurre de cacao et d’obtenir ainsi une poudre soluble, légère et nutritive. La « révolution du cacao en poudre » vient de commencer. Elle va bouleverser la jeune industrie du chocolat.

L’invention décisive de Van Houten

Sur Casparus Van Houten, nous ne savons pas grand-chose sinon que, né vers  1770 à Amsterdam, il a ouvert à Weesp, en 1806, une petite boutique d’épices et de café qu’il a transformée en 1815 en une petite manufacture de chocolat. Pourquoi cette reconversion et pourquoi à ce moment ? Des siècles durant, le chocolat, que les conquistadores avaient ramené d’Amérique Latine au XVIème siècle, avait été réservé à une clientèle aisée. Celle-ci le consommait sous forme de  pâte de cacao diluée dans l’eau et agrémentée de miel ou de sucre pour en adoucir l’amertume naturelle. Au milieu du XVIIIème siècle encore, le chocolat reste un produit de luxe : son prix au kilo représente entre 4 et 7 jours de salaire pour un ouvrier.

Au début du XIXème siècle cependant, le chocolat commence à conquérir ce que l’on n’appelle pas encore les classes moyennes et même, de plus en plus, une partie des classes populaires. C’est pour répondre à ce marché en augmentation que Van Houten ouvre sa fabrique. Elle est dotée d’un moulin à deux pierres qui permet de broyer les fèves. A ce moment, les produits que fabrique la petite entreprise à partir de la pâte de cacao ainsi obtenue ne se distinguent en rien de ceux qu’élabore au même moment, à une échelle plus grande, un chocolatier comme Joseph Fry en Angleterre (voir le premier volet de notre série sur les pionniers du chocolat : https://historyandbusiness.fr/joseph-fry-lindustriel-quaker-qui-inventa-la-tablette-de-chocolat/) : gâteaux, pastilles, bonbons, boissons chocolatées aux saveurs divers, sans parler de ces préparations destinées aux apothicaires et parées de toutes les vertus médicinales. 

Qu’est-ce qui pousse alors Casparus Van Houten à vouloir aller plus loin et à mettre au point une poudre de cacao permettant de préparer un chocolat soluble dans l’eau ? Sans doute la volonté de se démarquer des produits élaborés par la multitude de petits « faiseurs » qui pullulent à ce moment, aux Pays-Bas comme ailleurs en Europe. La pâte de cacao que l’on prépare traditionnellement contient alors plus de 50% de graisse végétale – du beurre de cacao –, ce qui rend les boissons, gâteaux et autres préparations peu digestes. Si l’on veut obtenir un produit plus léger, et conquérir ainsi de nouveau clients, il faut donc extraire la plus grande partie des matières grasses de la pâte de cacao. 

C’est exactement ce que parvient à faire la presse hydraulique qu’il invente en 1828 et qu’il brevette pour 10 ans cette année-là : elle est capable de retirer environ la moitié du beurre de cacao issu du broyage des fèves. Il ne reste plus  alors qu’à concasser le produit résultant de l’opération – une sorte de pain de cacao – et à le tamiser pour obtenir une poudre soluble dans l’eau. Vendue en vrac sous le nom de Van Houten dès 1828, elle permet aux consommateurs de préparer une  boisson légère et digeste.

Un « oubli » aux conséquences majeures

Le succès de la poudre Van Houten est immédiat, poussant la petite fabrique de Weesp à s’agrandir et à recruter de nouveaux ouvriers. Las ! En 1838, elle subit un important revers. Très occupé à faire connaître et à vendre sa poudre, Casparus Van Houten a en effet complètement oublié  de renouveler le brevet qu’il avait obtenu pour 10 ans en 1828. Les autres chocolatiers s’engouffrent aussitôt dans la brèche, utilisant la fameuse poudre de l’inventeur hollandais pour mettre au point leurs propres produits. C’est notamment ce que font les frères Fry  en créant, en 1847, la première tablette de chocolat. Il leur a suffi pour cela de mélanger du beurre de cacao, de la poudre de cacao Van Houten et du sucre pour obtenir une pâte molle qu’il est possible de verser dans des moules.  Leurs concurrents – Callier en Suisse, Suchard en France… – font de même. En quelques années, de nouveaux produits, moins gras et plus digestes, apparaissent ainsi sur le marché, donnant le véritable coup d’envoi à l’industrie du chocolat. Une évolution que la mécanisation des opérations, amorcée dans les années 1850, et la baisse des prix  qu’elle permet, viendra consacrer.  Sans l’avoir  vraiment voulu, Casparus  Van Houten a favorisé la naissance d’un nouveau secteur industriel et ce, pour la plus grande joie des consommateurs !

Conrad Van Houten entre en scène

            C’est alors qu’entre en scène Conrad Van Houten, le fils de Casparus. Né en 1801, ce chimiste de formation travaille avec son père depuis 1835.  C’est lui qui va être à l’origine de la seconde innovation majeure, après celle de la presse hydraulique. Si la mise au point de la poudre de cacao a incontestablement représenté un tournant, elle souffre encore de deux défauts majeurs : elle est longue à préparer  – il faut râper le chocolat manuellement – et elle se dissout lentement dans l’eau.  En 1846, Conrad a l’idée de mélanger la poudre de cacao avec des sels alcalins, facilitant ainsi sa solubilité dans l’eau. Baptisé dutching, ce procédé a en outre l’avantage de réduire l’acidité du cacao.  Il permet la mise au point de poudres de cacao au goût riche et chocolaté. Vendues aux particuliers pour la préparation de boissons, et aux industriels de la chocolaterie pour la mise au point de leurs confiseries chocolatées, elles vont faire la fortune de l’entreprise.

Van Houten à la conquête du monde

            C’est sous son fils Casparus (1844-1901) que la maison connaît son apogée. Dès son arrivée en 1865, il abandonne la diffusion en vrac pour l’emballage métallique qui permet une meilleure conservation du produit et, surtout, une diffusion beaucoup plus large, notamment à l’international.  A partir des années 1860, la société Van Houten se lance littéralement à la conquête du monde, exportant son cacao partout en Europe mais aussi aux États-Unis – où, dès 1900, Van Houten figure parmi les 10 marques les plus connues des consommateurs – et  en Asie. En 1914, la firme réalise plus de 90% de son chiffre d’affaires hors des Pays-Bas. Il faut dire que, pour faire connaître son cacao, Casparus recourt massivement à la publicité, lançant de grandes campagnes d’affichage –  notamment sur les tramways des grandes villes américaines – et réalisant même des films publicitaires.

A Weesp, l’ancien atelier ouvert en 1815 par Casparus s’est métamorphosé en une grande usine de plusieurs centaines d’ouvriers entièrement automatisée – elle fermera ses portes en 1971. Casparus lui-même est devenu l’une des principales figures de l’industrie aux Pays-Bas. Depuis 1897, il habite dans une grande villa Art Nouveau dotée de…99 chambres !  Sans doute l’entreprise qu’il dirige n’est-elle pas épargnée par ses concurrents. Dans les années 1880, les chocolatiers français mobilisent ainsi médecins et scientifiques pour dénoncer les risques supposés du procédé dutching pour la santé. Vains combats d’arrière-garde qui ne peuvent empêcher le développement de la firme.

Van Houten restera aux mains de la famille jusqu’en 1971, ouvrant des usines en Allemagne, en France et en Angleterre et rachetant plusieurs marques concurrentes. Peinant à résister à la concurrence étrangère, elle est reprise cette année-là par une firme allemande puis, en 1985, par le groupe Jacobs Suchard AG. La marque et son célèbre cacao sont, depuis 1998, propriété du groupe belgo suisse de chocolat Barry Callebaut.