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Les Cadbury sont issus d’une vieille famille établie depuis le Moyen Age près d’Exeter. Le premier ancêtre connu, John, naît en 1696. Peigneur de laine de profession, il épouse en 1725 Hannah Tapper, une quaker militante. Par amour pour sa belle, John décide de se convertir : les Cadbury seront désormais de fidèles piliers de l’Eglise quaker. Des cinq enfants qu’a le couple, un seul survit, Joël. De son mariage avec la fille d’un tanneur, Sarah Moor, celui-ci aura à son tour six enfants dont Richard Cadbury.  Né en 1768, il est le véritable fondateur de la dynastie. 

Un commerçant très prospère

En 1794, après un apprentissage chez un drapier d’Exeter et quelques années passées à Londres chez un marchand de soieries, Richard s’installe à Birmingham, qui restera le berceau de la famille. Sur place se trouve une importante communauté quaker. Entre les membres de l’Eglise, l’entraide est la règle, et le jeune homme sait pouvoir compter sur le soutien de ses coreligionnaires. Grâce à leur appui, Richard ouvre sa propre boutique d’étoffes, de calicots et de soieries. Au tournant du siècle, Richard est devenu un personnage important de Birmingham.Commerçant heureux, il est également à la tête d’une famille nombreuse. Sa femme, Elizabeth, qu’il a épousée en 1795, lui a donné dix enfants. 

Le spécialiste de la boisson chocolatée

Parmi eux, John. Né en 1801, celui-ci est placé, à l’âge de quinze ans, en apprentissage chez un marchand de thé de Birmingham. En 1831, il décide de se mettre à son compte. Cette année-là, il ouvre à Crooked Lane une petite fabrique de cacao et de chocolat. Il n’est pas le premier à le faire : depuis 1761, il existe à Bristol une usine de produits chocolatés fondée par un autre quaker, Joseph Fry, l’inventeur de la tablette de chocolat. Dans son petit atelier, John Cadbury  se spécialise plus particulièrement dans la mise au point de boissons chocolatées. En travaillant lui-même les fèves de cacao, il parvient à mettre au point un breuvage très nutritif qu’il destine plus particulièrement au petit déjeuner familial. Au début des années 1840, il prépare déjà une quinzaine de boissons chocolatées différentes. Aux yeux de ce Quaker convaincu, ces préparations n’ont pas uniquement des vertus nutritives. Elles ont également vocation à détourner les classes populaires de l’alcool véritable fléau de l’âge industrie naissant.  Aux boissons proprement dites s’ajoutent bientôt des chocolats à croquer.

Un homme très austère

Quaker, John Cadbury l’est jusqu’au bout des ongles. D’une austérité quelque peu rebutante, il inculque très tôt à ses nombreux enfants les valeurs traditionnelles de l’Eglise quaker : honnêteté, sens du devoir et du travail, rigueur, austérité et simplicité, sens de l’entraide… Dans la grande et froide maison que la famille habite dans Birmingham même, il est interdit de jouer d’un instrument de musique – signe de frivolité –, de s’asseoir sur des fauteuils rembourrés, de boire et de fumer. Seuls la Bible, les livres religieux et les ouvrages « moraux » comme« La Case de l’oncle Tom » sont autorisés. En outre, tous les matins, avant le petit déjeuner, les enfants doivent courir un mile afin de développer leur endurance ! 

John est également, comme son père l’avait été avant lui, un pilier de la vie municipale de Birmingham. Il se distingue par ses nombreuses actions philanthropiques, en faveur des pauvres et des orphelins, des femmes seules, de l’éducation des enfants, de la protection des animaux – une préoccupation typiquement quaker –, mais aussi de l’environnement. En plein milieu du XIXe siècle, il acquiert ainsi un procédé de rétention des fumées d’usine qu’il fait adopter par l’ensemble des industriels de la cité. Sa morale religieuse le pousse également à accorder une grande attention au bien-être moral et physique de ses employés. Dans la nouvelle usine qu’il fait construire en 1847, tous les ouvriers se voient accorder une demi-journée de congé supplémentaire par semaine. Chez Cadbury, on ne travaille que jusqu’au samedi midi… 

La rencontre décisive avec Van Houten

En 1860, âgé seulement de cinquante-neuf ans, John transmet l’affaire à ses fils Richard et George. Les établissements Cadbury figurent alors parmi les principaux fabricants de chocolat de Grande-Bretagne. Ayant ouvert un bureau à Londres en 1854, la firme est devenue « fournisseur de Sa Majesté la reine Victoria », une distinction enviée et qui a contribué à tirer davantage les ventes. Des deux frères, c’est George Cadbury, le plus inventif. Tout aussi frugal que son père – il renonce au thé et à son journal du matin, et refuse, en hiver, de sortir avec un manteau – et comme lui gros travailleur – il est présent à son bureau, invariablement, de 7 heures du matin à 9 heures du soir et ne s’accorde aucune pause  –, il se rend dès 1866 en Hollande, où il achète à l’industriel Van Houten la presse à cacao qu’il a inventée et qui, en réduisant le beurre de cacao présent dans les fèves, permet de faire un cacao plus pur et surtout plus digeste. 

L’adoption du procédé Van Houten marque un vrai tournant dans l’histoire de la firme. Elle  permet à Cadbury de produire du cacao pur à 100% sans avoir à y ajouter les édulcorants habituels tels que sucre, farine ou pommes de terre voire même, comme le font certains industriels peu scrupuleux, de la poussière de brique ! Dans l’histoire de la jeune industrie du chocolat, c’est une première. Elle fait de l’entreprise le principal fabricant de chocolat en Grande-Bretagne. Elle lui permet également, en  réutilisant le beurre de cacao récupéré lors de la pression, de diversifier ses productions.  Au début des années 1870, la firme lance ses premiers « chocolats fantaisie », conditionnés dans des boîtes en fer peint, ainsi que ses premiers bonbons. Dans le même temps,  elle ouvre des bureaux en Irlande, au Chili, au Canada, en France mais aussi en Australie et aux Indes. 

Une cité idéale : Bournville

L’heure est désormais venue pour les établissements Cadbury, trop à l’étroit à Birmingham, de s’agrandir. Quittant la ville, George choisit de s’installer « à l’air pur », à Bournville, à quelques miles de la cité. Là est édifiée, à partir de 1878, une nouvelle usine, munie des derniers perfectionnements techniques. Toujours soucieux des conditions de vie de ses salariés, il édifie également, à l’ombre de l’usine, une cité ouvrière dont toutes les maisons sont pourvues d’un jardin. Au fil des années, la cité s’enrichit d’une église, d’une école, d’un centre de soins, de clubs sportifs, tandis que tous les salariés bénéficient d’une assurance-retraite et que les jeunes hommes se voient offrir une bicyclette pour l’éducation du corps ! Le « travail au grand air », telle est l’idée centrale de l’industriel. L’éducation morale n’est pas non plus oubliée : tous les matins, George Cadbury lit lui-même à ses salariés assemblés un passage de la Bible… Cité en modèle par de nombreux hommes politiques, ce mode de gestion, dans lequel les formes habituelles de paternalisme vont de pair avec d’incontestables innovations sociales, devient l’une des principales marques de fabrique de la firme. Au début du siècle, le patron de Cadbury va d’ailleurs plus loin : rachetant le « Daily News », il en fait un journal pacifiste opposé à la guerre des Boers et militant pour des réformes sociales d’envergure comme la retraite pour tous. 

L’envol d’une dynastie

De la mort de son frère Richard en 1899 jusqu’à sa propre mort en 1922, George dirige de main de maître la firme familiale. En 1905, c’est le lancement du chocolat au lait, pour lequel une deuxième puis une troisième usine sont ouvertes. Le slogan « un verre et demi de lait », dû à son fils Edward, fera le tour de l’Angleterre. Mais son plus beau succès est le rachat, en 1919, de son rival de toujours, Fry, opération qui donne naissance à la British Cocoa & Chocolate Company, le principal fabricant de confiseries chocolatées d’Angleterre et l’un des plus importants d’Europe. 

A la mort de George, c’est William, l’un des fils de son frère Richard, qui lui succède. Jusqu’à son départ, en 1937, il dirige l’entreprise entouré de son frère Barrow et de ses cousins, Edward, George Jr. et Laurence, les fils de George. Entre les membres de la famille, une certaine répartition des tâches s’opère. Tandis que Barrow s’occupe de l’institution charitable de la famille, Edward et George Jr. s’occupent de différents aspects de la vie de l’entreprise et Laurence du pôle presse qu’il s’emploie à développer. Au début des années 30, il acquiert ainsi le « Daily Chronicle », d’inspiration libérale, qu’il fusionne avec le « Daily News » pour faire le « News Chronicle ». Son rôle de patron de presse ne l’empêche pas de garder un train de vie des plus modestes : lorsqu’il se rend à Londres, deux fois par semaine, pour suivre ses journaux, il voyage toujours en seconde et emporte avec lui son oeuf et sa tranche de bacon pour le breakfast… 

En 1944, au sortir d’une guerre qui a vu l’usine de Birmingham produire des munitions, des obus et des roquettes antichars, le modeste Laurence Cadbury succède à son cousin à la tête de l’entreprise familiale. Plus souple que celle qu’il a reçue lui-même, l’éducation de ses six enfants obéit à un registre plus intellectuel : aux heures des repas et à l’exception du petit déjeuner, où il est interdit de prononcer un seul mot, tous sont encouragés à parler littérature ou à réciter des poèmes. 

Naissance d’un géant de l’agroalimentaire

Dans les années 60, la direction de la firme passe aux mains d’Adrian, le second fils de Laurence. Ce sportif émérite formé à Cambridge et ardent défenseur de l’Etat providence, est l’un des principaux acteurs du rapprochement avec Schweppes, une opération motivée par la nécessité de répondre à la concurrence –  celle de l’américain Mars notamment – et de résister aux diktats de la grande distribution. Finalisée en 1969, la fusion des deux géants donne naissance au groupe Cadbury Schweppes, l’un des tout premiers groupes alimentaires européens positionné sur deux créneaux : celui des boissons et sodas et celui de la confiserie et des produits alimentaires élaborés. Pour le diriger, les actionnaires choisissent lord Watkinson, le président de Schweppes. Actionnaires importants du nouveau groupe, les Cadbury restent bien présents au sein des instances de direction et veillent aux intérêts de la dynastie. C’est Dominic Cadbury ainsi, vice-président du groupe et par ailleurs président du magazine « The Economist » qui, en 1995, signe l’acquisition des marques Dr Pepper et Seven Up, qui donnent au groupe une dimension mondiale. C’est également lui qui, à la fin des années 1990, pousse au rachat de marques aussi prestigieuses que Malabar, Carambar, bonbons La Pie qui Chante ou le chewing-gum Hollywood.

En 2008, Cadbury-Schweppes est scindé en deux groupes distincts : l’un centré sur l’activité chocolat/confiserie, qui reprend le nom de Cadbury, l’autre sur les boissons. Deux ans plus tard, Cadbury est racheté par le groupe américain Kraft Foods qui devient Mondelez en 2012. Quant à la famille Cadbury, elle se consacre aujourd’hui, pour l’essentiel, à des activités philanthropiques.

Illustration. Publicité Cadbury, vers 1880