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Près de 30 000 magasins dans 76 pays, plus de 4 milliards de tasses de café vendues chaque année… Fondée au début des années 1970, Starbucks est aujourd’hui la plus grande chaîne de cafés au monde et, à l’instar de McDonald’s, une marque emblématique d’un certain mode de vie à l’américaine. Un succès phénoménal auquel les fondateurs de l’enseigne ne s’attendaient sans doute pas…

Au départ, ils étaient trois. Trois amateurs de bon café, lassés de ne pas trouver, à Seattle, de « petits noirs » dignes de ce nom. L’histoire de Starbucks commence un jour de 1970 lorsque Gordon Bowker retrouve à déjeuner deux de ses amis, Jerry Baldwin et Zev Siegl. Né en 1940, Bowker a enchaîné les petits boulots – chauffeur de taxi, garde-malade, guide touristique… – avant de s’inscrire à l’Université de San Francisco. Depuis quelque temps, il écrit des scénarios et collabore au principal journal de Seattle. C’est à l’Université de San Francisco qu’il a fait la connaissance de Jerry Baldwin et de Zev Siegl. Né en 1947, le premier enseigne l’anglais à Seattle; quant au second, né en 1942, il est professeur d’histoire dans un collège de la ville, un métier qui ne le passionne guère. Bons vivants, les trois amis partagent une même passion pour le cinéma, la littérature, la gastronomie… et le café. Ce jour-là, autour de la table qui les réunit pour déjeuner, Gordon Bowker explique qu’il en a assez de commander son café à Vancouver, au Canada, où il a déniché un torréfacteur de qualité. Une opération finalement assez compliquée – Internet n’existe pas à l’époque ! – et qui lui prend beaucoup de temps. Grand amateur d’expresso – une spécialité italienne qu’il a découverte lors d’un voyage à Rome – il n’en peut plus de l’infâme jus de chaussettes servi par les restaurants et les bars de Seattle. « Pourquoi ne pas ouvrir un établissement où les habitants de Seattle pourraient, enfin, trouver du bon café ? » lance-t-il à ses amis. Jerry Baldwin et Zev Siegl se montrent d’emblée enthousiastes. Le projet leur paraît d’autant plus viable qu’en raison des difficultés que connaît alors le groupe Boeing, premier employeur de la ville, le prix des loyers commerciaux s’est effondré…

Et c’est ainsi qu’en mars 1971, après avoir apporté chacun 1.350 dollars et emprunté collectivement 5.000 dollars à la banque, les trois amis ouvrent sur Western Avenue une petite boutique baptisée « Starbucks ». C’est Bowker qui a trouvé ce nom, celui de l’un des personnages principaux de Moby Dick, le roman de Herman Melville. Rien de bien surprenant, au demeurant, pour cet amateur de littérature, même si le nom n’a rien à voir avec le café ! Mais il est « percutant » et facile à retenir… Couvrant 200 mètres carrés environ, la boutique – louée 137 dollars par mois – a été décorée dans le style marine – une autre référence à Moby Dick -, que l’on retrouve aussi dans le logo – une sirène – dessiné par le publicitaire Terry Heckler. Suprenant ! Loin de proposer des cafés à consommer, comme c’est le cas aujourd’hui, le premier Starbucks est une sorte d’épicerie spécialisée au décor « cosy » qui vend à ses clients du café torréfié au poids ou en sachet – que l’on peut quand même déguster à la demande -, du thé, des épices mais aussi des machines à café, des Thermos et des tasses… Eduquer le consommateur en lui faisant découvrir des cafés de qualité : tel est le projet d’origine, un rien intellectuel, des trois compères. Un modèle économique qui allait être plus tard radicalement transformé.

Offrir du bon café… Pour remplir cet objectif, les trois associés se sont mis en quête d’un fournisseur de qualité. C’est en Californie, plus précisément à Berkeley, qu’ils l’ont finalement trouvé. Son nom : Peet’s Coffee & Tea. Fondé par Alfred Peet, un Hollandais né en 1920 et arrivé aux Etats-Unis au milieu des années 1950, l’établissement est alors réputé dans tous les Etats-Unis pour la qualité de ses grains, parfaitement torréfiés ! Entre Peet et le trio de Seattle, un accord est vite trouvé : Peet’s Coffee & Tea fournira Starbucks en cafés torréfiés. En échange de ces commandes, il accepte de former Bowker, Baldwin et Siegl aux subtilités de la torréfaction. Durant toute l’année 1971, les trois hommes se succèdent ainsi à tour de rôle à Berkeley, apprenant du maître l’art et la manière de préparer les grains de café. Fructueuse, cette collaboration durera un an. Jusqu’à ce que le niveau des commandes – important -, oblige Starbucks à se fournir directement auprès des grossistes en café – puis des producteurs eux-mêmes – et à effectuer lui-même les opérations de torréfaction.

Entre Bowker, Baldwin et Siegl, la répartition des tâches est alors très lâche. Parce qu’enseigner l’histoire l’ennuie, Zev Siegl a obtenu d’être le premier – et le seul ! – salarié de l’établissement. Accueillant, chaleureux, il s’occupe de la vente et de la gestion au jour le jour de la boutique. Directeur en titre, Jerry Baldwin, lui, s’occupe plus particulièrement des achats de café puis, à partir de 1972-1973, de la torréfaction, une mission qu’il accomplit le week-end et le soir après ses cours. Quant à Gordon Bowker, qui poursuit, lui aussi, son activité d’écrivain indépendant, il a la responsabilité du marketing. Un bien grand mot qui consiste, en l’espèce, à rédiger les publicités et, quand il le faut, à peindre les murs…

Signe qu’elle correspond à un vrai besoin, la petite boutique accueille plus de 150 clients par jour. Une deuxième boutique est alors ouverte en 1972, à Seattle toujours, puis une troisième en 1975. Cinq ans plus tard, en 1980, l’enseigne compte dans la ville quatre magasins, une petite unité de torréfaction – qui produit toutes sortes de mélanges – et une douzaine de salariés, sans compter les fondateurs. Les fondateurs justement : cette même année 1980, ayant épuisé les joies du commerce et désireux de faire autre chose, Zev Siegl vend, pour quelques dizaines de milliers de dollars, ses parts à ses deux associés. C’est alors que le destin de la petite entreprise prend un tour nouveau…

Nous sommes à la fin de l’année 1981. Depuis son bureau de la côte Est, Howard Schultz, trente-sept ans, vice-président en charge des activités américaines d’Hammarplast, une firme suédoise spécialisée dans la fabrication de produits en plastique pour la maison, épluche, comme il le fait régulièrement, les chiffres mensuels de vente. Son regard est attiré par le compte de Starbucks, une petite enseigne de Seattle. En l’espace d’un an, ses commandes de Thermos à café ont été multipliées par près de dix ! Homme de terrain rompu aux méthodes commerciales de Xerox, où il a commencé sa carrière, Schultz décide d’aller voir ce client qu’il ne connaît pas. Ce qu’il découvre sur place l’enchante littéralement : quatre magasins plutôt élégants, au positionnement original, manifestement en pleine croissance mais dont le potentiel lui paraît largement sous-exploité. Las de travailler au sein de grandes compagnies, Howard Schultz tente alors le tout pour le tout : à Gordon Bowker et Jerry Baldwin qui l’ont reçu, il propose en effet de rejoindre l’enseigne comme directeur marketing, avec un salaire divisé par trois ! Une offre spontanée que les deux associés, après un temps de réflexion, décident d’accepter. Plus que Jerry Baldwin – plutôt réticent – c’est Gordon Bowker qui a poussé à l’embauche de Schultz. Un moyen, à ses yeux, de donner un nouvel élan au développement de Starbucks que les deux amis ne savent plus très bien dans quelle direction orienter. Ils ne seront pas déçus…

En 1983, quelques mois après son recrutement, Howard Schultz assiste à Milan à un Salon sur l’équipement de la maison. Sur place, il est impressionné par la culture italienne du café, la qualité des mélanges proposés à la consommation et tout l’art de vivre qui existe autour de l’expresso. Une dimension qui, en son temps, avait ravi Gordon Bowker. Mais, contrairement à ce dernier, Schultz en titre aussitôt une conclusion : pour relancer Starbucks, il faut changer totalement de modèle et faire des boutiques de l’enseigne non plus seulement des lieux de vente mais de vrais espaces conviviaux où les clients pourront commander et consommer des cafés. Une vraie révolution, en effet, que Gordon Bowker et Jerry Baldwin refusent toutefois de mettre en oeuvre, tant elle s’éloigne de leur projet d’origine. Désireux cependant de ne pas heurter leur directeur du marketing, les deux associés l’autorisent à tester son concept dans le nouveau Starbucks – le sixième – que l’enseigne s’apprête à ouvrir à Seattle. L’expérience se révèle un véritable succès. Alors que, jusque-là, le nombre moyen quotidien de clients par magasin était de 200, la nouvelle formule en séduit plus de 800 par jour ! Un succès qui autorise tous les développements, y compris à l’échelle nationale. Las ! Malgré cette réussite, incontestable, Bowker et Baldwin – qui, dans l’intervalle, ont racheté les trois boutiques californiennes Peet’s Coffee & Tea – refusent d’étendre l’expérience aux autres établissements de l’enseigne. A la prudence du premier, qu’effraie un peu ce grand bond en avant, s’ajoute la franche hostilité du second. Jerry Baldwin n’a en effet guère d’atomes crochus avec Schultz, ce spécialiste du marketing qui veut faire de Starbucks un « gros business » déployé sur tout le territoire américain. Pour Baldwin, Starbucks doit rester une petite affaire. Un vrai conflit de stratégies…

L’issue, dès lors, est inéluctable. En 1986, Howard Schultz démissionne de Starbucks et, avec plus d’un million de dollars levés auprès d’investisseurs, crée son propre établissement, le Giornale, qui propose des consommations de café dans un cadre soigné. Six mois après sa création, l’endroit accueille déjà plus de 1.000 clients par jour. Est-ce le succès de leur ancien directeur marketing ? Le sentiment qu’ils sont arrivés au bout d’un cycle ? Ou bien une certaine lassitude à devoir faire sans cesse le grand écart entre Seattle et les boutiques californiennes de Peets ? Toujours est-il qu’en 1987, alors qu’il existe déjà trois Giornale à Seattle, Bowker et Baldwin vendent, pour 4 millions de dollars, leurs magasins et le nom Starbucks à Howard Schultz. C’est lui, au prix d’un repositionnement stratégique mené au pas de charge et destiné à transformer les Starbucks en vrais cafés conviviaux, qui donnera à l’enseigne une dimension nationale puis internationale, faisant passer le nombre de boutiques de 12 à 165 entre 1987 et 1992, puis à 17.000 quinze ans plus tard…

Illustration. Le premier Starbucks, Seattle, 1971

 

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