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Rendu célèbre par le personnage du « Petit Mineur », Jean Mineur fut l’un des pionniers du cinéma publicitaire en France.

Balzac 00 01… Ce fut, en son temps, l’un des numéros de téléphone les plus célèbres de France. Des années durant, il symbolisa pour des millions de Français – et symbolise encore, pour nombre d’entre eux – toute la magie des salles obscures, avec leur ambiance particulière, leurs entractes et leurs films publicitaires dans lesquels Jean Mineur était passé maître. Jean Mineur… Loin de n’être qu’une marque sur un écran, ce nom est d’abord celui d’un homme peu connu du grand public et qui donna au cinéma publicitaire ses lettres de noblesse.  Cet autodidacte comprit d’instinct que, pour marquer le public, il fallait frapper les esprits avec des images et des messages simples. D’où le choix de ce numéro de téléphone, obtenu de haute lutte auprès des services du téléphone dès la fin des années 1930. D’où surtout la création du célèbre « Petit Mineur », créé en 1950 par Albert Champeaux à partir d’un dessin de Jonas. Figurant un petit mineur lançant son pic dans une cible, diffusé au son d’un indicatif composé par René Cloërec, il suggérait aux annonceurs et aux spectateurs « qu’avec le cinéma, on met toujours dans le mille. » Un vrai coup de génie. Diffusé pendant des décennies dans des milliers de salles, le Petit Mineur s’imposa rapidement comme l’une des icônes publicitaires les plus connues du siècle et ce, pour la plus grande joie de son concepteur…

Mais que de travail et de patience pour en arriver là ! L’histoire de Jean Mineur est celle d’un homme parti de rien et qui multiplia les expériences professionnelles avant d’inventer, un peu par hasard, un nouveau métier. Né à Valenciennes en 1902, il est le fils d’un modeste entrepreneur en menuiserie. Signe d’un certain  complexe social ? Toute sa vie, comme le rappelle Fabrice Carlier dans la biographie qu’il lui a consacré, Jean Mineur se donnera en tout cas beaucoup de mal pour prouver que sa famille avait une importante ascendance, qu’elle était respectable et qu’il était lui-même le fruit d’une longue lignée. Elevé par les Jésuites – il restera, jusqu’à la fin de sa vie, un catholique fervent – Jean Mineur connaît une enfance sans histoire. Comme tous les enfants de sa génération, il se passionne pour le cinéma naissant. Depuis que les Frères Lumières ont organisé, à Paris en 1895, leur première séance publique de cinéma, les projections se sont en effet multipliées, non seulement à Paris mais aussi en province. Dans la foulée, des salles permanentes, exploitées par Léon Gaumont, ont commencé de faire leur apparition un peu partout en France tandis qu’un public enthousiaste se bouscule aux projections en plein air qu’organisent encore forains et tourneurs. Jean Mineur restera à jamais marqué par cette époque…

Mais pour l’heure, il lui faut penser à gagner de l’argent pour vivre. Sa mère emportée par la maladie en 1917, son père allant d’échecs en échecs, Jean Mineur se retrouve en effet, au lendemain de la Première Guerre mondiale, seul au monde et contraint de se débrouiller comme il le peut. Six années durant, le jeune homme  va de petits boulots en petits boulots : livreur de bière, conducteur de poids lourd, aide-comptable et enfin rédacteur au Progrès du Nord. Jusqu’à ce jour de 1924 où son destin prend un tour nouveau. Cette année-là en effet, Jean Mineur fait par hasard la connaissance d’un peintre d’annonces publicitaires, un certain Vermeulen. Son métier, que d’autres pratiquent ailleurs, consiste à peindre, sur une grande toile, des réclames pour le compte des commerçants de la ville, toile qui est ensuite placée devant l’écran des salles de cinéma et déroulée lors des entractes. Le « rideau réclame », comme on l’appelle, est alors la seule forme de publicité au cinéma. Vermeulen est à la recherche d’un agent capable de placer ses rideaux auprès des exploitants de salle. Malgré ses réticences initiales, Jean Mineur se laisse finalement convaincre de se lancer dans ce nouveau métier. A 22 ans, il vient de mettre un pied dans l’univers du cinéma. Il n’en sortira plus…

Ayant acheté une petite Citroën, Jean Mineur commence donc à faire le tour de ses clients : d’un côté les commerçants et les industriels de la région, auxquels il vend de « l’espace rideau », de l’autre les exploitants des 200 salles de cinéma que compte alors le département du Nord à qui il propose ses rideaux réclame. Les débuts sont difficiles. S’ils n’hésitent pas à passer de la publicité dans la presse locale ou régionale, les « annonciers », comme on les appelle alors, ne comprennent en effet pas très bien l’intérêt de faire la promotion de leurs produits au cinéma et ce, malgré la durée interminable des séances – qui comprennent des documentaires, des actualités, des dessins animés et des films – qu’il faut couper par des entractes. Le jeune entrepreneur doit déployer des trésors d’énergie et d’argumentaires pour convaincre ses interlocuteurs de l’intérêt du procédé. Sérieux, enthousiaste, n’hésitant par à consentir aux exploitants de salles des conditions avantageuses, Jean Mineur parvient peu à peu se faire un nom dans sa région. Au point de se diversifier rapidement dans un autre support publicitaire très utilisé à l’époque : les peintures murales.

Du rideau réclame au film publicitaire, il n’y a bien sûr qu’un pas. Jean Mineur le franchit au début des années 1930. L’idée est loin d’être nouvelle. A ce moment en effet, cela fait des années  – précisément depuis 1912 – que de petits films publicitaires muets sont diffusés dans les principales salles, notamment parisiennes.  Dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, d’innombrables agences, certaines très éphémères, se sont créées pour proposer aux exploitants de salles des films de quelques minutes, diffusées la plupart du temps sous forme de dessins animés. Contrairement à une légende tenace, ce n’est donc pas Jean Mineur qui a inventé cette nouvelle forme de publicité. Mais s’il décide de se lancer lui aussi sur ce marché, c’est en raison d’une invention majeure, survenue en 1928 aux Etats-Unis et dont il a compris immédiatement l’importance : le cinéma parlant. En France, les premiers films parlants sont projetés au public dès 1930. Dès cette année-là, Jean Mineur commence à abandonner les rideaux réclame, qu’il sait condamnés à terme, pour concevoir et diffuser ses premiers films publicitaires.  Les débuts, là encore, sont difficiles. L’intérêt du public pour le cinéma parlant a en effet suscité la vocation d’innombrables aigrefins, suscitant la méfiance des commerçants et des exploitants de salle. « Des escrocs venaient, entourés de jolies filles, dans de belles voitures et, après avoir fait semblant de tourner avec des caméras vides, disparaissaient avec l’argent », racontera plus tard Jean Mineur. Pour gagner des marchés, il doit donc, bien souvent payer d’avance les exploitants de salle et se faire régler par les commerçants et industriels  après la diffusion des films.

Au milieu des années 1930, à force de travail Jean Mineur a acquis une notoriété non seulement dans toute la région Nord mais aussi à Paris où il compte de nombreux clients. C’est d’ailleurs à Paris, incontournable dans le monde de la publicité, que l’entrepreneur finit par s’installer en 1936, louant des bureaux avenue des Champs-Elysées, adresse prestigieuse entre toutes qu’il ne quittera plus. Jean Mineur Publicité, sa société, est alors l’une des agences les plus en vue du moment, au point que Havas lui fera une offre de rachat. Il faut dire que Jean Mineur, s’il n’a pas inventé le film publicitaire, a systématisé l’organisation du métier, gage de son succès et de son développement. Désormais entouré d’une dizaine de collaborateurs, il conçoit, tourne, réalise, monte et diffuse ses films, s’occupant autant du contenant – la vente d’écrans de salle aux annonceurs – que du contenu – les films. Il est aussi l’un des tout premiers à instituer, à l’intention des exploitants de salle, un système d’avances sur recettes et  de minimas garantis. Le premier à mettre au point, pour les commerçants, de petits scénarios et films standardisés par profession. Le premier encore à établir, à l’intention des ses clients, des listes de salles par catégorie et par fréquentation. Convaincu que le secteur, qui compte encore d’innombrables agences aux pratiques parfois douteuses, doit être assaini, Jean Mineur créée en 1937, avec le fondateur de France Films, Lucien Rollier, le Syndicat de la publicité par le cinéma. Ensemble, les deux hommes entreprennent de mettre en place des tarifs uniformisés, des listes de salles par catégorie et d’imposer le respect des contrats d’exclusivité.

Ce modèle, fondé sur le contrôle de toute la chaîne de production, une excellente connaissance des salles et une organisation rigoureuse, va s’épanouir pleinement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.  En 1946, Jean Mineur franchit en l’espèce une étape majeure en s’associant avec Adrien Remaugé, le dirigeant de Pathé Cinéma, pour créer la société Publicité Pathé Cinéma Jean Mineur. Les deux partenaires ont vite compris l’intérêt d’une telle association : pour Pathé, il s’agit d’être alimenté régulièrement en films publicitaires de qualité ; pour Jean Mineur, d’obtenir la garantie que ses films seront diffusés dans un réseau de salles modernes, bien équipées et en développement constant. De fait, la société Publicité Pathé Cinéma Jean Mineur alimente dès sa création près de 400 salles. Elles seront 1500 dix ans plus tard…

L’explosion des salles de cinémas dans les années 1950, le développement très rapide du marché de la publicité à l’ère de la consommation de masse, sans parler bien sûr de la formidable notoriété du personnage de Jean Mineur, feront le reste. Au fil des années, la société Jean Mineur Publicité, outre des participations dans plusieurs agences, dispose de plusieurs départements spécialisés, notamment pour la conception et la réalisation de films publicitaires industriels. Au début des années 1960, l’entreprise produit environ 200 films par an, réalisés par des professionnels promis parfois à un bel avenir, à l’image de Jean-Jacques Annaud. Trois grands ensembles se partagent alors le marché du film publicitaire en France, soit 5000 salles au total : France Films, Cinéma et Publicité – filiale commune de Publicis et de Havas – et Publicité Pathé Cinéma Jean Mineur, filiale commune de Pathé et de Jean Mineur Publicité. Passionné par le septième art, Jean Mineur lui-même s’est essayé au cinéma non publicitaire, réalisant et produisant plusieurs documentaires, et même un film, Troisième cheminée à droite, plutôt bien accueilli par la critique. Amoureux du soleil et du midi, Jean Mineur s’est également lancé dans l’immobilier, investissant dans la construction de la station de Valberg, à une centaine de kilomètres de Nice et achetant à Cannes un restaurant.

Mais déjà, les années passent. Dans les années 1960, un concurrent redoutable commence à faire son apparition : la télévision. Elle provoque une chute spectaculaire du nombre d’entrées en salles qui, entre 1957 et 1967, passent de 412 millions à 203 millions, rendant plus difficile le travail des régies publicitaires. « La télévision va tuer la publicité au cinéma ! », ne cesse de clamer Jean Mineur, relayant les inquiétudes de toute une profession. L’autorisation de diffuser des publicités à la télévision, octroyée en 1968, marque en l’espèce une étape décisive. En 1970, la télévision capte déjà 10,6% des recettes publicitaires quand  la part de marché du cinéma s’est effondrée à 1,5%. Convaincu qu’il ne pourra plus longtemps continuer seul, âgé et sans héritier, Jean Mineur accepte alors, en accord avec les dirigeants de Pathé, d’ouvrir des négociations en vue d’une fusion de la société Publicité Pathé Cinéma Jean Mineur avec son concurrent de toujours, Cinéma et Publicité. Finalisée le 1erjanvier 1971, l’opération donne naissance à une nouvelle société : Médiavision. A 69 ans, Jean Mineur quitte peu à peu l’univers du cinéma pour s’installer à Cannes où il s’occupe de ses nombreux investissements immobiliers.  C’est là, à Cannes, qu’il meurt en 1985. Selon ses dernières volontés, il fait graver sur sa tombe ses dernières coordonnées : « Eden 00 01 ».

Crédit photo : Pascal Garnier

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