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Créateur de la Standard Oil, John D. Rockefeller est le premier industriel de l’or noir. Il est aussi le premier à mettre de l’ordre dans un marché qui, depuis la découverte du colonel Drake, se débat dans l’anarchie la plus totale…

Le futur tycoon du pétrole naît en juillet 1839 à New-York. Il descend d’une famille de huguenots français – les Roquefeuille – qui avaient fui la France lors de la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV. Le grand-père de John, Godfrey, s’était lancé dans le commerce de blé mais ses affaires avaient mal tourné. Il avait alors choisi de quitter le Massachusetts pour tenter sa chance dans l’Ouest. Son fils William, le père de John, ne sera guère plus chanceux. « Big Bill » comme on le surnomme, mène une existence vagabonde. Se présentant comme « physicien botaniste » ou « docteur herboriste », il passe ses journées sur les routes à vendre des élixirs miracles, des médicaments aux vertus secrètes et autres drogues à l’efficacité douteuse. En 1855, à l’occasion de l’une de ses tournées, il se marie une seconde fois et commence la vie secrète d’un bigame qu’il poursuivra jusqu’à sa mort en 1906…

A Cleveland, où la famille s’est installée en 1853, le jeune John D. Rockefeller est élevé par sa mère qui, en l’absence de ce père étrange, trouve inspiration et réconfort dans la lecture quotidienne de la Bible. Profondément croyant, le jeune garçon fréquente assidûment l’Eglise baptiste. De cette époque, il conservera le goût pour un mode de vie simple et rigoureux. Jusqu’à la fin de sa vie, il n’allumera jamais un cigare ni ne boira une goutte d’alcool. Pieux, sérieux, appliqué et économe dès son enfance, le John Rockefeller manifeste en revanche un goût marqué pour le commerce. Servi par d’étonnantes facultés de calcul mental, il organise à l’école toutes sortes de petits trafics.

En 1855 – il a alors seize ans –, estimant que le temps est venu pour son fils de travailler, « Big Bill » fait entrer John dans une importante maison de commerce de gros en charbon et céréales de Cleveland : Hewitt & Tattle. Ce premier travail sera déterminant pour la suite de sa carrière. Entré comme modeste employé aux écritures, il est rapidement nommé aide-comptable. A ce poste, le futur empereur du pétrole s’initie aux opérations de transport par chemins de fer ou par bateaux et apprend les bases de la comptabilité commerciale. Gros travailleur, il manifeste une curiosité insatiable et une soif de comprendre les mécanismes financiers qui régissent l’achat, le stockage, le transport et la vente des matières premières. Très apprécié de ses patrons, il est nommé en 1857, à dix-huit ans, comptable en chef.

En 1858, s’estimant insuffisamment payé, John Rockefeller choisit de quitter Hewitt & Tattle et de voler de ses propres ailes. Beaucoup plus tard, il avouera que si ses employeurs avaient accepté de l’augmenter, il serait sans doute resté, ajoutant cependant que, dès cette époque, il était « prêt pour faire quelque chose de beaucoup plus important. » L’année de ses vingt ans, il s’associe avec un ancien camarade d’école, Maurice Clarck, pour fonder une maison de commerce de gros. La guerre de Sécession, qui éclate deux ans plus tard, fait la fortune de la société. Spécialisée dans l’achat et la vente de sel, de viande de porc et de blé, celle-ci profite à fond de l’augmentation du prix des denrées agricoles et signe des contrats très rémunérateurs avec le gouvernement pour l’approvisionnement des armées. En 1862, la jeune entreprise dégage un bénéfice de 17 000 dollars. Riche, Rockefeller l’est déjà. C’est alors que, pour la deuxième fois, sa vie prend un tour nouveau…

En 1862, l’une de ses connaissances de l’Eglise baptiste lui propose en effet, ainsi qu’à Maurice Clarck, de créer une raffinerie de pétrole. Dans un premier temps, John Rockefeller se montre sceptique. Découvert en 1859 par le colonel Drake, qui a mis à jour, à Titusville en Pennsylvanie, le premier puits, le pétrole est encore, à ce moment, un marché incertain et de surcroît anarchique. A Titusville et dans sa région, puis dans l’Ohio et le Kentucky, de multiples puis forés ont été découverts, entretenant l’instabilité des prix. Le jeune entrepreneur décide néanmoins de se lancer dans le raffinage avec Clarck et Andrews. Il est d’autant plus incité à le faire que, au début de l’année 1863, une ligne de chemin de fer reliant Cleveland à la Pennsylvanie a été inaugurée. Tout au long de la ligne, on a vu apparaître un chapelet de raffineries de pétrole. Encouragés, les trois associés créent donc l’Excelsior Oil Works et investissent 4 000 dollars dans la construction d’une raffinerie, qui figure d’emblée parmi les plus importantes de la région. L’association ne dure cependant pas longtemps. Entre Rockefeller, désormais convaincu du précieux liquide, et ses deux associés, prudents jusqu’à la pusillanimité, les relations ne tardent pas à se dégrader. En 1865, John Rockefeller rachète l’entreprise à Clarck et Andrews pour 72 500 dollars. Désormais seul à bord, il va se consacrer pleinement au pétrole…

Il va bénéficier d’emblée d’une conjoncture exceptionnelle. Cette même année 1865, en effet, les Etats-Unis sortent de la guerre civile et s’apprêtent à entrer dans une ère d’expansion industrielle sans précédent qui va servir à point nommé les intérêts de Rockefeller. Celui-ci, pour autant, se refusera toujours à agir en spéculateur, préférant développer un à un ses marchés, bâtissant méthodiquement un outil industriel performant et réinvestissant tous ses bénéfices. Dès cette époque, trois grands principes guident son action : d’une part, disposer, sur toute la chaîne pétrolière, du stockage au raffinage, des équipements les plus performants, d’autre part contrôler strictement les coûts afin de les maintenir à un niveau inférieur à ceux des concurrents, enfin se tenir momentanément à l’écart de la production, domaine beaucoup trop risqué à ce moment en raison de l’anarchie qui y règne. Ce sont ces quelques recettes qui vont hisser son entreprise au premier rang de l’industrie pétrolière des Etats-Unis.

Le coup d’envoi de cette stratégie est donné le 10 janvier 1870 avec la fondation, à Cleveland, de la Standard Oil. A cette aventure, Rockefeller associé son frère William et l’un de ses amis, Harry Flager, qui jouera un rôle essentiel dans le développement de la firme. Le nom « Standard » a été choisi pour signifier que les produits livrés seront garantis au meilleur niveau de qualité. Forte de deux raffineries, les mieux équipées de la région, l’entreprise commence par lutter contre l’effondrement des prix dû aux surcapacités de production. Flager et Rockefeller s’y emploient méthodiquement, intégrant petit à petit l’ensemble de la chaîne, contrant les initiatives des producteurs indépendants, et surtout négociant avec les compagnies de chemin de fer des concessions tarifaires avantageuses en contrepartie de garanties de livraisons. En l’espace d’une dizaine d’années, la Standard s’octroie ainsi une position dominante – de l’ordre de 90% – dans le raffinage, les transports, le commerce et la distribution du pétrole. Dans les années qui suivent, le groupe remonte vers l’amont et s’attaque à la production de pétrole brut, prenant le contrôle des nouveaux champs pétrolifères de l’Ohio et de l’Indiana. Cette puissance grandissante ne manque pas d’inquiéter l’opinion et les milieux politiques. Accusé de pratiques déloyales et de manipulations tarifaires, menacé de procès dans plusieurs Etats, John Rockefeller prend alors le parti, en 1882, de transformer son entreprise en « trust », c’est-à-dire en association d’entreprises virtuellement autonomes s’en remettant volontairement au leadership de la Standard. Une transformation juridique sans réelle conséquence puisque si, en apparence, les décisions communiquées aux différentes unités du trust prennent la forme de simples recommandations, dans les faits la direction du trust est conduite par un petit groupe d’hommes animé par Rockefeller.

En ce début des années 1880, celui-ci figure déjà, avec un patrimoine supérieur à 150 millions de dollars, parmi les toutes premières fortunes américaines. En 1864, il a épousé Laura Celestia Spelman, issue d’une famille de la bonne bourgeoisie de Cleveland. Installé dans cette ville, le couple, qui aura cinq enfants, vit simplement. Quand il n’est pas à ses affaires, John Rockefeller s’occupe de ses arbres fruitiers et de ses chevaux, l’une de ses passions. A son bureau, l’industriel conduit son groupe d’une main ferme mais sait écouter ses plus proches collaborateurs. Il veut en revanche tout connaître de ce qui se passe dans les multiples ramifications du trust. A cet effet, il met en place un système d’information et d’espionnage remarquablement efficace qui lui est directement rattaché.

L’industriel n’en a pas fini pour autant avec les soucis. La presse et la classe politique ont en effet vivement critiqué la transformation de la Standard Oil en trust, présentée comme une manœuvre dilatoire. En 1890, la fameuse loi Sherman réglemente strictement l’usage du système. John Rockefeller réplique en profitant de la possibilité qu’offrent plusieurs Etats de créer des sociétés holdings pour constituer, en 1899, dans l’Etat du New Jersey, la Standard Oil Company, qui contrôlera désormais les 70 sociétés du trust. Mais la guerre pour le monopole, les luttes incessantes contre l’administration fédérale, les critiques véhémentes dont la Standard fait l’objet et les campagnes de presse ont fini par affecter la santé de l’industriel. Epuisé, souffrant d’insomnie, il a confié en 1897 la direction générale de la firme à l’un de ses collègues du conseil d’administration, John D. Archbold. Lui-même reste président et membre du conseil. Mais s’il est systématiquement consulté sur les grandes orientations intéressant l’avenir de la firme, il se consacre davantage à sa famille. A près de soixante ans, l’empereur du pétrole prend du recul.

Les ennuis de la Standard ne vont cependant pas tarder à la rappeler sur le devant de la scène. Au tournant du siècle en effet, une grande campagne moralisatrice s’élève dans l’opinion publique contre les dérives monopolistiques du capitalisme. Dans les journaux et la classe politique, on n’a de cesse de dénoncer cette poignée de magnats qui ont concentré entre leurs mains toute la puissance économique du pays. Les relais d’opinion réclament le démantèlement des trusts, à commencer par le principal d’entre eux : la Standard.

L’affaire commence en 1904 avec la publication, par la revue « Mc Lur’s », d’une série d’articles sur l’histoire de la Standard Oil. Menée par l’un des organes de presse les plus prestigieux des Etats-Unis, l’enquête dévoile au public les méthodes qui ont permis à la Standard de s’imposer sur le marché. Ces révélations font sensation et sont à l’origine d’une vaste campagne en faveur du démantèlement du trust. Président des Etats-Unis à partir de 1901, Théodore Roosevelt fait de la Standard l’une de ses cibles prioritaires. Des enquêtes approfondies sont lancées, des actions juridiques engagées. Le procès principal  s’ouvre en 1902 devant la Cour fédérale de Saint-Louis. Il durera jusqu’en 1909, date à laquelle est ordonnée la dissolution de la Standard Oil. Confirmée par la Cour Suprême en 1911, la sentence contraint la Standard à abandonner le contrôle de 33 filiales et à revendre une partie de ses actions. De cette dissolution forcée naissent quelques-unes des plus grandes sociétés pétrolières américaines comme Exxon, Mobil, Chevron ou Amocco.

Ceux qui espéraient par ce moyen abattre la puissance de John Rockefeller en sont pour leurs frais. La revente des actions qu’il possédait dans les différentes sociétés du trust démantelé lui a en effet rapporté la bagatelle de 900 millions de dollars, faisant de lui l’homme le plus riche des Etats-Unis. Contraint de se retirer des affaires, le premier milliardaire de l’histoire n’abandonne pas pour autant toute activité. En 1909, il a créé la Fondation Rockefeller pour la santé et l’éducation et l’a dotée d’un capital de 100 millions de dollars. Il se consacre alors à son développement, faisant d’elle la première institution charitable du monde. A sa mort en 1937, malgré la crise boursière de 1929, il laisse à ses héritiers une fortune de près de 500 millions de dollars.

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