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14.000 salariés, 130 bureaux dans 65 pays : McKinsey est l’une des firmes de conseil en management les plus importantes dans le monde. A l’origine de cette aventure : James McKinsey et Marvin Bower. Fondateur de la firme en 1926, le premier inventa un métier. Le second, qui dirigea l’entreprise jusqu’en 1967, lui donna ses lettres de noblesse.

Au départ de l’aventure, il y a donc James McKinsey. Né en 1889 dans une ferme du Missouri, il poursuit des études brillantes à l’université de Chicago où il décroche en 1918 un diplôme de comptabilité. Un an plus tôt, lors de l’entrée en guerre des Etats-Unis, il a été mobilisé au sein du département des matériels et des munitions avec mission de faire le tour des industriels impliqués dans l’effort de guerre. Ce qu’il a vu l’a effaré : absence d’organisation, direction dépassée par l’afflux de commandes, livres de comptes mal tenus… C’est alors que McKinsey a l’intuition dont il fera, plus tard, un métier : nombre d’entreprises souffrent d’un déficit de management qui entrave leur bon fonctionnement et leur développement. Pour l’heure cependant, c’est à une carrière universitaire qu’il se destine.

Au début des années 1920, il devient professeur de comptabilité à l’université de Chicago. Quand il n’enseigne pas, il écrit des ouvrages et des articles sur la comptabilité, le management financier et le contrôle budgétaire qui lui valent une certaine notoriété parmi les milieux industriels. Au fil de ses travaux, il se forge une conviction : la comptabilité constitue un outil de premier ordre pour comprendre la stratégie d’une entreprise, identifier ses forces et ses faiblesses et, à partir de ces constats de départ, repenser son organisation et son modèle de développement. En bref, un véritable outil de management. L’idée, certes, n’est pas tout à fait nouvelle : depuis la création de son MBA en 1908 – le premier au monde -, l’université d’Harvard apprend à ses étudiants à faire de la finance et du contrôle de gestion un outil stratégique à part entière. Mais le jeune universitaire va plus loin. Dès cette époque, il pose dans ses écrits les bases du futur « General Survey Outline  » de McKinsey, cette « feuille de route  » destinée aux consultants et qui doit leur permettre d’appréhender la situation d’une entreprise dans sa totalité, de l’organisation aux finances en passant par l’achat et les ventes, la place sur le marché, l’état de la concurrence ou la situation du personnel. Une méthode directement issue de ses travaux universitaires.

En 1926, convaincu que cette approche peut être utile aux entreprises américaines, James McKinsey crée sa firme de conseil tout en continuant à donner des cours à l’université de Chicago. James O. McKinsey et Compagnie, ingénieurs en comptabilité et management : tel est le nom de l’entreprise qui, de manière révélatrice, préfère le terme « ingénieur  » à celui de « consultant ». Alors que le taylorisme fait référence dans les milieux industriels, McKinsey entend se rattacher à la tradition de l’organisation scientifique du travail. Le moment pour se lancer est bien choisi. Depuis la fin de la guerre, les Etats-Unis connaissent une forte croissance que le krach boursier de 1929 viendra brutalement interrompre. A la tête des grandes entreprises du pays, une nouvelle génération de managers salariés a remplacé les « barons voleurs » de la génération précédente, ces figures hautes en couleur qui, à force de spéculations, de manoeuvres frauduleuses et même de coups tordus, ont bâti le capitalisme américain. Sortis des meilleures universités américaines, ces dirigeants sont tous confrontés au même problème : comment organiser l’entreprise pour lui permettre de tirer pleinement profit de l’essor du marché ? Un modèle a fini par émerger, adopté par des groupes comme General Motors, DuPont, Westinghouse ou Sears, Roebuck and Company : le système multidivisionnaire. Organisé par produit ou zone géographique, il commence à remplacer le système centralisé qui dominait jusque-là. La firme McKinsey basera une grande partie de son succès sur la promotion de l’organisation multidivisionnaire partout dans le monde. En ce milieu des années 1920, les réflexions sur l’organisation des entreprises ouvrent en tout cas de belles perspectives à James McKinsey.

Implanté à Chicago, James O. McKinsey et Compagnie démarre modestement, avec une poignée de collaborateurs salariés. Recruté en 1929, le premier partenaire sera Andrew Thomas Kearney, ancien directeur de la recherche chez l’industriel de la viande Swift et futur créateur, en 1947, de A.T. Kearney. La firme n’est pas la première à délivrer du conseil aux entreprises, loin s’en faut ! Aux Etats-Unis, il en existe des dizaines. Mais la plupart sont très spécialisées : les unes, les plus nombreuses, interviennent sur l’organisation de la production et des ateliers, d’autres sur les aspects financiers ou comptables, d’autres encore sur la gestion du personnel. Toutes travaillent avec les échelons intermédiaires, chefs de division, ingénieurs de production ou directeurs de site industriel. Le contact avec les directeurs généraux ou les PDG est l’affaire des grandes banques qui, jusqu’en 1934, délivrent des conseils où les aspects financiers et de valorisation du capital ont évidemment la part belle. James McKinsey, lui, innove sur deux points : il ne s’adresse qu’aux cols blancs, au « top management » des groupes américains. Et il propose une approche globale, centrée sur la conduite des entreprises et résumée dans le « General Survey Outline ».

Fort de sa réputation universitaire, James McKinsey décroche très vite d’importants contrats : avec l’industriel de la viande Armour, dont le directeur financier, qui a lu tous ses ouvrages, veut repenser l’organisation du budget et du planning financier; puis avec l’un des principaux fabricants américains de conditionneurs d’air, confronté alors à de lourdes pertes financières. L’histoire raconte qu’un simple coup d’oeil à son papier à en-tête a suffi à James McKinsey pour identifier le problème. « Nous intervenons de point en point du Canada au Mexique », y est-il écrit. A une époque où le transport aérien est encore dans les limbes, l’entreprise engloutit des sommes énormes pour déplacer ses commerciaux en Amérique du Nord. A la direction du groupe, McKinsey suggère donc de se recentrer exclusivement sur Chicago et le centre des Etats-Unis. Sa situation s’améliore aussitôt. Payés 100 dollars par jour, la quinzaine de consultants que compte la firme en 1930 sillonnent les grandes villes des Etats-Unis pour vendre leurs services aux entreprises américaines. Un premier bureau est ouvert à New York en 1931. Quant à James McKinsey, il a définitivement quitté l’université pour assurer à plein-temps la direction de sa firme. Travailleur acharné, il passe, selon ses propres termes, « tous ses petits-déjeuners, la moitié de ses déjeuners et un tiers de ses dîners «  avec des clients et des prospects. Marié et père de deux enfants, il ne goûte guère aux joies de la vie familiale, pas plus qu’il ne s’intéresse à l’art ou à la culture. Quand il adhère à une association ou à un club, c’est uniquement pour y faire des rencontres utiles sur le plan professionnel.

Loin de briser l’essor de la jeune firme, la crise économique qui éclate en 1929 lui vaut au contraire un surcroît de travail. Confrontés à l’effondrement de leurs ventes et à de graves difficultés financières, la plupart des grands groupes américains cherchent en effet à revoir leur organisation. En interdisant aux banques de vendre des prestations de conseil aux entreprises qu’elles financent, la loi de 1934 donne également un coup de fouet à la firme qui devient un interlocuteur obligé des directeurs généraux. Les 15 consultants de 1930 sont désormais une quarantaine. Quant à James McKinsey, sa réputation dans les milieux d’affaires est telle que la compagnie Marshall Field, la plus importante chaîne de distribution du centre et de l’ouest des Etats-Unis, fait appel à lui en 1935 pour diriger l’entreprise. Sur ce dossier, McKinsey a travaillé l’année précédente avec une douzaine de ses consultants. Les solutions que la firme a proposées – fermer toutes les usines et les manufactures qui produisent vêtements et biens de consommation courante pour se recentrer exclusivement sur la vente en grand magasin – ont effrayé le conseil d’administration. Mais il a fini par donner son feu vert, à condition qu’elles soient mises en oeuvre par James McKinsey lui-même…

A partir de 1935, celui-ci partage donc son temps entre la compagnie McKinsey et le groupe Marshall qu’il déleste d’une grande partie de ses activités et de 1.200 salariés. La tâche épuise James McKinsey, soumis aux pressions du conseil d’administration du groupe et qui, chaque jour, reçoit à son domicile une vingtaine de lettres de menaces écrites par des salariés licenciés. D’autant qu’il lui faut, dans le même temps, suivre les activités de sa firme. En 1936, à l’issue de longues négociations, il la fusionne avec l’une de ses concurrentes, Scovell, Wellington et Compagnie. Présente à New York, Chicago et Boston, elle compte, comme McKinsey, une quarantaine de consultants et intervient sur deux métiers : le conseil en comptabilité-finance et le conseil en management. James McKinsey songe désormais à quitter le groupe Marshall pour prendre la direction du nouvel ensemble, confiée pour l’heure au patron de Scovell et Wellington. C’est alors qu’un événement vient tout remettre en cause…

En novembre 1937, James McKinsey succombe à une pneumonie foudroyante. Il a quarante-huit ans. Dans les bureaux que la firme possède à New York, Chicago et Boston, c’est la consternation ! D’autant que des tensions ne tardent pas à apparaître parmi les partenaires. D’un côté, l’associé de la première heure, Thomas Kearney, directeur du bureau de Chicago. De l’autre, le responsable du bureau de New York, Marvin Bower. Né à Cincinnati en 1903, diplômé d’Harvard en droit et en administration des entreprises, il a rejoint McKinsey en 1930 après un passage dans l’un des principaux cabinets d’avocats de Cleveland. Les deux hommes s’opposent sur tout : sur la place de Scovell, Wellington et Compagnie et sur la façon de gérer McKinsey. Peu après la mort de James McKinsey et après des discussions tendues, les activités de conseil en comptabilité-finance de Scovell et Wellington sont « sorties » de McKinsey, qui ne conserve que la partie conseil en management. Bower et Kearney décident également de se séparer : tandis que les équipes de New York et de Boston conservent le nom de McKinsey, celles de Chicago prennent le nom de McKinsey, Kearney & Company qui prendra le nom de A.T. Kearney en 1947. Devenu l’âme du cabinet, Marvin Bower s’emploie alors à professionnaliser un métier qui a une très mauvaise réputation. Ne dit-on pas des consultants qu’ils « empruntent votre montre pour vous donner l’heure  » ? Création d’un système d’associés obéissant à des règles rigoureuses d’avancement, mise en avant des valeurs d’excellence, d’indépendance et de rigueur, recrutement systématique de jeunes diplômés d’Harvard – ce qui assure à McKinsey un vaste réseau dans les milieux d’affaires, un début de carrière dans le cabinet devenant un passage quasi-obligé pour diriger une grande entreprise -, formalisme des comportements (les consultants ont l’obligation de porter le chapeau)… En l’espace de quelques années, Marvin Bower fait du conseil en management un véritable métier et lui donne ses lettres de noblesse. C’est lui qui fera du cabinet créé par James McKinsey une firme d’envergure mondiale.

Illustration. Organigramme d’une grande entreprise américaine, vers 1920. Dès sa création, la firme MacKinsey fut l’un des principaux promoteurs de l’organisation multidivisionnaire qui organisait l’entreprise par produit ou zone géographique.

 

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