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Horace Finaly : ce nom, aujourd’hui un peu oublié, fut en son temps presque aussi célèbre que celui des Rothschild. Admiré par les uns, vilipendé par les autres, il fut avant tout un grand banquier, aussi à l’aise dans le montage d’opérations complexes que sous les lambris des ministères. Directeur général de la Banque de Paris et des Pays-Bas pendant plus de vingt ans, le personnage résume à lui seul toute la puissance des milieux financiers de l’entre-deux-guerres.

Pour comprendre la destinée d’Horace Finaly, il faut commencer par évoquer son oncle, Horace Landau, financier de haut vol et esthète accompli. Né en 1824, descendant de négociants juifs ukrainiens installés à Budapest, Horace Landau était devenu l’homme de confiance de James de Rothschild. En 1870, fortune faite, il se retire des affaires pour se consacrer à la fabuleuse collection d’art et de manuscrits qu’il a réunie dans sa villa de Florence – la villa Landau puis Landau-Finaly, l’une des plus belles de la ville – et veiller aux destinées de sa famille. Ses faveurs se portent plus particulièrement sur Hugo Finaly, fils d’un médecin juif de Budapest et surtout époux de sa nièce préférée, Jenny. Grâce à Horace Landau, Hugo Finaly – le père de notre héros – commence une brillante carrière de banquier, d’abord chez les Rothschild puis à la Banque de Paris et des Pays-Bas, née en 1871 de la fusion de la Banque de Crédit et de Dépôt des Pays-Bas et de la Banque de Paris. Devenu associé de la banque, Hugo Finaly s’installe définitivement à Paris avec sa famille, vers 1880.

C’est là que grandit Horace. Né à Budapest en 1871, il connaît une enfance heureuse entre l’appartement familial du boulevard Haussmann, les villégiatures en Autriche ou à Trouville et les séjours à Florence auprès d’Horace Landau, le grand homme de la famille. Marqué par son oncle, le futur banquier manifeste très tôt un goût prononcé pour la littérature. Faut-il y voir l’influence des écrivains que les Finaly reçoivent alors chez eux et parmi lesquels on compte aussi bien Marcel Proust – avec lequel Horace Finaly resta toujours très lié, lui donnant de nombreux conseils pour la gestion de son portefeuille – qu’Anatole France, André Gide, Pierre Louÿs ou José Maria de Heredia ? C’est l’époque où le monde de la haute finance met un point d’honneur à fréquenter les élites culturelles et où presque chaque soir, dans les salons des grands banquiers, on organise devant un parterre de gens du monde récitations poétiques et mises en scène théâtrales. Nul doute que la sensibilité d’Horace Finaly en ait été durablement marquée. Mais Hugo Finaly a d’autres projets pour son fils dont, antécédents familiaux obligent, il veut faire un banquier. En avril 1900, alors âgé de vingt-neuf ans et titulaire d’une licence de droit, Horace Finaly fait son entrée à la Banque de Paris et des Pays-Bas.

L’établissement est déjà mondialement connu. Spécialisé dans les grandes opérations internationales, il s’appuie sur tout un réseau de banques correspondantes en Europe qui lui permettent de mener à bien son principal métier : faire face aux besoins de financement à long terme des entreprises, des services publics et des Etats. Attaché puis fondé de pouvoir de la banque, Horace Finaly commence sa carrière en participant à des émissions de titres et en négociant plusieurs emprunts publics. Ces opérations le conduisent en Europe centrale mais aussi en Amérique latine, aux Etats-Unis et au Japon. Aux Etats-Unis, en Amérique centrale mais surtout au Japon, il se distingue par ses talents de négociateur, son sens de l’analyse des situations politiques et la vision géostratégique qui est la sienne. La culture et la sensibilité qu’il a héritées de sa jeunesse, sa curiosité – il lit beaucoup sur les pays où il se rend afin d’éviter tout faux pas – lui assurent une ouverture d’esprit et une capacité à sentir les situations qui comptent parmi ses principaux atouts. Ces qualités et les résultats qu’il obtient lui permettent dès lors de gravir très vite les échelons : en janvier 1908, deux ans après avoir été nommé sous-directeur, il est nommé directeur par le conseil d’administration. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il va consacrer l’essentiel de son temps aux affaires industrielles, développant les participations de la banque dans l’industrie chimique ou électrique.

En 1914, Horace Finaly est déjà l’un des principaux dirigeants de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Réputé pour son indépendance d’esprit et ses sautes d’humeur, voire parfois sa muflerie, ce grand banquier déjà fortement marqué par l’embonpoint a attendu d’avoir trente-huit ans pour quitter le petit deux-pièces qu’il occupait chez ses parents pour s’installer chez lui, rue de Presbourg. En 1915, alors que la guerre fait rage, il épouse Marguerite Pompée, une jeune veuve, mère d’un fils, qu’il a rencontrée en Europe centrale et dont le sort l’a ému. Ce mariage provoque un violent conflit avec sa mère, qui eût préféré une union plus conforme à la situation de la famille. Entre Horace et Jenny Finaly, les choses ne seront plus jamais comme avant… Mais, pour l’heure, le banquier doit faire face à la situation difficile créée par la guerre. Ayant échappé à la mobilisation, il s’emploie pendant près de cinq ans à sauvegarder les intérêts de la banque tout en participant étroitement au financement de l’effort de guerre. Son action à la tête de l’établissement lui vaut d’être nommé, en octobre 1919, directeur général par le conseil d’administration.

C’est alors que commence véritablement le « règne  » d’Horace Finaly. Un règne qui va durer jusqu’en 1937 et qui va marquer durablement l’histoire de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Non pas que la structure et l’organisation de l’établissement aient profondément changé durant toutes ces années : en 1937 comme en 1919, la banque de la rue d’Antin reste dirigée de façon collégiale et s’appuie sur un organigramme léger. S’il laisse une large autonomie à ses directeurs, Horace Finaly n’en est pas moins présent sur tous les grands dossiers qui engagent la banque, se réservant pour lui-même un certain nombre d’affaires sensibles. Comme le rappelle son biographe Eric Bussière, « sa position au sommet de la hiérarchie fait de lui le point de convergence entre les départements et le conseil d’administration, le noeud autour duquel se fait la prise de décision ».

A partir des années 1920, la Banque de Paris et des Pays-Bas est présente sur tous les fronts. A bien des égards, les buts de son dirigeant se confondent avec ceux des élites politiques et administratives du pays : prolonger l’effort d’industrialisation dans les branches jugées stratégiques et s’assurer de positions fortes à l’étranger afin d’empêcher un possible retour de l’expansionnisme allemand. La réalisation de ce programme se fait d’ailleurs en grande partie en concertation avec les hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay – notamment Philippe Berthelot, directeur politique du Quai, intellectuellement complice d’Horace Finaly – et du ministère des Finances. Raids sur des banques d’Europe centrale, chinoises ou turques, prises de participation dans des affaires industrielles européennes, soutien financier à la création de puissants pôles industriels français – notamment dans la chimie, les télécommunications et le pétrole… Sous la direction d’Horace Finaly, la Banque de Paris et des Pays-Bas joue un rôle essentiel dans la prise de contrôle des pétroles d’Irak et des Balkans au titre des sanctions infligées à l’Allemagne après la guerre et qui donneront naissance à la Compagnie Française des Pétroles, le groupe Total. Jamais sans doute diplomatie et affaires ne fonctionnèrent de façon aussi imbriquée qu’à ce moment. Durant toutes les années 1920, Horace Finaly développe une vision moderne du capitalisme hexagonal et du rôle que doivent jouer les milieux financiers dans la création de champions nationaux.

La puissance qu’est devenue la banque de la rue d’Antin dans les années 1920 explique sans nul doute son rôle auprès des différents gouvernements qui se succèdent à la tête du pays tout au long de la décennie. Curieusement, ce grand banquier richissime qu’est devenu Finaly marque alors une nette préférence pour les républicains avancés qui, sur l’échiquier politique, se situent entre les libéraux et les socialistes – on dirait aujourd’hui le centre gauche. Les hommes de cette tendance – Painlevé, Clémentel, Anatole de Monzie, Louis Loucheur –, Horace Finaly les a connus pendant la guerre, tissant avec eux des liens étroits. Ses choix politiques sont en conséquence. En 1924, la banque ne ménage pas ses efforts pour aider le Cartel des gauches à placer son emprunt. L’engagement très fort d’Horace Finaly dans cette opération lui vaut alors quelques solides inimitiés dans les milieux d’affaires. De même, en 1925, l’établissement élabore un programme drastique destiné à équilibrer le budget et comprenant notamment des prélèvements accrus sur le capital. Un programme que l’opposition résolue de Joseph Caillaux, ministre des Finances du Cartel, ne permet finalement pas de mettre en oeuvre. Il est vrai que tout oppose l’homme des finances privées, le banquier de petite taille, lourd et secret qu’est Horace Finaly, à l’inspecteur des Finances plein de morgue alors en pleine ascension et qui, un jour de colère, lâche : « Ce juif hongrois n’a rien à dire. Un jour, je lui ferai regagner son ghetto. » 

« Maître du jeu politique », Horace Finaly ? Dès cette époque, les milieux d’extrême droite le clament haut et fort, dénonçant pêle-mêle le « maître occulte du régime » (François Coty), la « main secrète de la France » (Marthe Hanau) ou bien encore « Finaly Ier, roi de la République » (Léon Daudet). Puissant, Horace Finaly l’est assurément. N’a-t-il pas pris des participations dans Havas et Hachette afin de s’assurer des campagnes de presse favorables aux intérêts de la banque ? Ne subventionne-t-il pas plusieurs journaux ? Ne dispose-t-il pas, enfin, de solides appuis parmi les députés à l’Assemblée nationale, grâce auxquels il est en mesure de mener de véritables campagnes de « lobbying » ? Pour être générales à tous les milieux d’affaires, ces pratiques désignent Horace Finaly aux attaques d’une certaine presse où la xénophobie le dispute à l’anticapitalisme le plus primaire.

La victoire du Front populaire, en 1936 et le rôle de conseiller qu’il joue auprès de Léon Blum sont l’occasion de nouveaux déchaînements de haine contre « le juif apatride Finaly « . Entre-temps, la crise économique est passée par là et le directeur général de la Banque de Paris et des Pays-Bas a dû batailler ferme pour éviter une déroute de l’établissement. Depuis la mort de sa femme, en 1921, le banquier vit seul, vouant tout son temps à la banque. Mais à soixante-cinq ans, Horace Finaly ne cache pas sa lassitude, passant une grande partie de son temps dans la villa de Florence qui avait jadis appartenu à Horace Landau. Auparavant, il a proposé au conseil de confier la présidence de la banque – lui n’a toujours été que directeur général – à Emile Moreau, ancien gouverneur de la Banque de France et jadis proche de Caillaux. Entre les deux hommes, le courant passe mal. Décidé à marquer son pouvoir et, probablement aussi, à obtenir le départ de son directeur général, Emile Moreau multiplie les provocations. En juin 1937, l’élection au conseil d’administration, à l’initiative de Moreau, d’un collaborateur direct de Finaly scelle le destin de ce dernier. Blessé dans son autorité, Horace Finaly démissionne aussitôt.

En août 1940, il quitte la France pour les Etats-Unis. Les cinq dernières années de sa vie, il les passe dans un appartement de l’hôtel Marguery, à New York. Il meurt le 20 mai 1945 sans avoir revu la France.

 

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