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Près de 50 000 employés, une présence permanence dans plus de 90 pays, 2500 journalistes : fruit de la fusion, entre 2007 et 2008, de Thomson Corporation et de l’agence Reuters, le groupe Thomson Reuters s’est imposé comme le leader mondial de l’information professionnelle, financière et juridique, devant son concurrent Bloomberg. Si elle a marqué une nouvelle étape dans sa longue histoire, cette mégafusion n’a en revanche en rien écorné la réputation de l’agence Reuters, considérée encore aujourd’hui comme la référence en matière d’information financière.  

Une solide réputation

Une réputation qui remonte très loin en arrière, à la création même de l’agence en 1851, lorsque son fondateur, Paul-Julius Reuter, décida de se spécialiser dans la transmission des valeurs financières entre Londres et Paris, un « créneau » totalement libre alors. Cette vocation financière de l’agence fut pourtant, au départ, loin d’être exclusive. Dans un mémo adressé en 1883 à ses agents et correspondants, Paul-Julius Reuter leur demandait ainsi de « télégraphier dans les plus brefs délais, et de la manière la plus détaillée possible, les incendies, explosions, inondations, accidents de chemin de fer, tempêtes, tremblements de terre, accidents survenus sur des vaisseaux de guerre, émeutes urbaines d’une certain importance, duels ou suicides de personnes en vue ainsi que les meurtres ayant un caractère particulièrement sensationnel ou horrifique ». Il avait compris que de telles informations lui apporteraient bien plus de clients que la simple diffusion des cours de Bourse d’un pays à l’autre. L’agence Reuters y gagna la réputation de spécialiste des nouvelles exclusives. De fait, elle les multiplia tout au long de son histoire. Elle fut ainsi à l’origine du premier scoop mondial : la publication, le 10 janvier 1859, du discours du roi de Piémont-Sardaigne prononcé le jour même et qui devait conduire au déclenchement de la guerre franco-autrichienne puis à l’indépendance de l’Italie. C’est elle encore qui annonça la première l’assassinat du président des Etats-Unis Abraham Lincoln en 1865, l’armistice de novembre 1918 ou bien encore, en 1956, l’existence du rapport de Khrouchtchev dénonçant les crimes de Staline. Ce n’est en fait que dans les années 1960 et 1970, avec le développement de nouveaux outils informatiques, que Reuters se spécialisa vraiment dans l’information financière. Les bases avaient tout de même été posées un peu plus d’un siècle plus tôt par Paul-Julius Reuter… 

Un exil très fructueux…

Celui-ci n’aurait sans doute jamais créé l’agence qui porte encore aujourd’hui son nom _ le « s » de Reuters fut ajouté en 1865 lors la constitution de la société anonyme Reuter’s Telegraph Company avant d’être définitivement accolé au nom _ s’il n’avait été contraint, pour des raisons politiques, de fuir l’Allemagne et de s’installer en France. Cet exil lui permit de rencontrer Charles Havas, avec lequel il collabora un temps, puis de monter, après deux échecs, sa propre agence. Le télégraphe, l’une des inventions majeures du siècle, fit le reste. Paul-Julius Reuter, futur baron de Reuter _ le titre lui fut conféré par le duc de Saxe-Cobourg-Gotha en 1871 _ naît à Cassel, en Allemagne, en juillet 1816. Petit-fils de rabbin et fils de commerçant, il appartient à une prospère famille juive de la région. Son véritable nom est Israël Beer Josaphat. Ce n’est qu’en 1845, lors de sa conversion au christianisme, qu’il se fera appeler Paul-Julius Reuter. En 1829, à l’âge de treize ans, il est envoyé en apprentissage dans la banque que dirige l’un de ses oncles à Göttingen. Il y reste seize ans, gravissant peu à peu les échelons, se familiarisant surtout avec les opérations financières et bancaires. Ces connaissances lui seront plus tard très utiles. C’est également à Göttingen qu’il rencontre le célèbre mathématicien Carl Friedrich Gauss, une relation et un client de son oncle. Né en 1777, directeur de l’observatoire de la ville et professeur d’université, Gauss travaille alors avec le physicien Wilhelm Weber sur l’électromagnétisme. Les deux hommes ont même réussi à construire un embryon de télégraphe électrique. Invité par le professeur Gauss à le voir fonctionner, Israël Beer Josaphat est frappé par la formidable accélération des vitesses de transmission qu’il permet par rapport au télégraphe aérien de Chappe, inventé en 1793. La leçon, là encore, ne sera pas oubliée… 

En octobre 1845, Paul-Julius Reuter quitte l’Allemagne et s’embarque pour Londres. Les raisons de ce voyage restent inconnues. Veut-il, après quinze ans passés dans une banque allemande, tenter sa chance dans ce qui est alors la principale place financière du monde ? Ou bien, ce qui est plus probable, est-il envoyé par son oncle pour nouer sur place des liens avec les grands banquiers juifs de la City ? Nous l’ignorons. C’est en tout cas à Londres qu’il rencontre son épouse, Maria-Elizabeth Clementine Magnus. Elle est luthérienne, lui juif… Le 16 novembre 1845, quatre jours avant le mariage, il accepte de se faire baptiser. Israël Beer Josaphat s’appellera désormais Paul-Julius Reuter. 

 Son séjour londonien ne dure que deux ans. Au début de l’année 1847, il est de retour en Allemagne. La nouvelle de sa conversion ayant sans doute fait quelques remous dans sa famille, il s’installe à Berlin où il ouvre, avec un associé, une librairie doublée d’une petite maison d’édition. Le début d’une nouvelle carrière ? Las ! Ayant publié, lors du « printemps des Peuples » de mars 1848, des pamphlets très critiques envers le roi de Prusse, il est contraint de quitter précipitamment l’Allemagne et de trouver refuge en France. Cet exil forcé va décider de son destin… 

Sans un sou…

A Paris, Paul-Julius Reuter débarque sans un sou en avril 1848. Afin de subvenir à ses moyens, il entreprend de traduire des articles de journaux allemands qu’il revend ensuite aux organes de presse français. Cette activité finit par attirer l’attention de Charles Havas. Ancien banquier ruiné par la défaite de Waterloo, ce dernier a lui-même commencé, après 1815, une seconde vie comme traducteur de presse, adaptant avec son épouse des articles en langue étrangère et les proposant aux journaux français. Devant l’intérêt croissant du public pour les nouvelles internationales, il a fondé en 1835 la première agence de presse au monde, l’« Agence des feuilles politiques _ Correspondance politique », utilisant des pigeons voyageurs pour se procurer les nouvelles récoltées dans les journaux étrangers. Lorsque Reuter arrive à Paris, la future agence Havas est déjà solidement établie sur son marché. Elle est même en train de faire des émules, comme en témoigne la création aux Etats-Unis, cette même année 1848, de l’agence Associated Press, qui regroupe les sources d’information internationale de 6 journaux américains. Toujours en quête de traducteurs, Charles Havas propose au jeune exilé politique de le rejoindre. Cette collaboration va durer un an. Au milieu de l’année 1849, Paul-Julius Reuter quitte en effet Havas pour créer sa propre agence de presse à Paris. Elle ne reste ouverte que quelques mois, le temps pour les autorités françaises de rappeler à son fondateur que, étant allemand, il ne peut prétendre diffuser des informations internationales à des journaux français… 

Contraint de quitter la France où plus rien ne le retient, Paul-Julius Reuter est cependant bien décidé à appliquer pour son compte les recettes qui ont fait le succès de Havas et à créer, en Allemagne, sa propre agence. Mais la chance, décidément, n’est pas avec lui ! A son arrivée à Berlin, une désagréable surprise l’attend : la place est déjà prise ! En l’occurrence par quelqu’un qu’il connaît bien, un ancien collaborateur de Charles Havas comme lui : Bernard Wolff. En 1849, ce dernier a en effet quitté l’agence Havas pour ouvrir à Berlin sa propre agence, calquée sur son homologue française. Profitant de mise en service, un peu plus tôt, de la première liaison télégraphique électrique, il a eu le temps de s’assurer de solides parts de marché. Interdit d’activités en France, bloqué à Berlin, Reuter décide alors de s’installer à Aix-la-Chapelle. Un choix judicieux : la ville est en effet le terminal des liaisons télégraphiques venues d’Allemagne. Au-delà, se trouvent la France et la Belgique. Mais les liaisons télégraphiques de ces deux pays s’achèvent à Verviers, en Wallonie. Entre Aix-la-Chapelle et cette ville, il y a un « trou » d’une quarantaine de kilomètres. Pour combler ce dernier et éviter toute rupture de communication, Paul-Julius Reuter crée en 1850 un service de pigeons voyageurs qui portent les nouvelles entre Aix-la-Chapelle et Verviers : 200 oiseaux au total. Mais il était décidément dit que l’Allemagne, tout comme la France, ne ferait pas son bonheur ! Il est à peine installé depuis un an qu’en 1851, une liaison télégraphique est ouverte entre Aix-la-Chapelle et Verviers, rendant totalement inutiles les pigeons voyageurs. Loin de se décourager, il décide alors de gagner l’Angleterre avec sa famille et d’y créer une nouvelle agence _ la troisième en quatre ans. En juin 1851, il est à Londres. Quatre mois plus tard, l’agence Reuter ouvre officiellement ses portes. La tentative, cette fois, sera la bonne. 

Naissance de l’agence Reuter

D’emblée, Paul-Julius Reuter a décidé de cibler les milieux d’affaires et de se spécialiser dans la diffusion des informations boursières et financières. Un choix naturel compte tenu du rôle tenu par la place de Londres en la matière mais aussi de l’absence totale de concurrence dans ce domaine. D’où le choix, pour installer l’agence, du Royal Exchange Buildings, situé à deux pas de la Bourse de Londres et où elle restera jusqu’en 1871. La vitesse de transmission : cette exigence, qui l’avait tant frappé à Göttingen lorsqu’il discutait avec Carl Friedrich Gauss, devient dès le départ son obsession. Depuis le très célèbre « coup de Bourse » de Nathan Rothschild _ qui, informé bien avant les autorités de la défaite de Napoléon à Waterloo, avait racheté tous les titres vendus en catastrophe par leurs propriétaires convaincus de la victoire de l’empereur, se constituant ainsi une énorme fortune _, elle obsède à dire vrai les milieux d’affaires européens. Longtemps, la diffusion de l’information a reposé sur les pigeons voyageurs. Puis est venu, à partir de 1844, le télégraphe électrique. C’est sur cette dernière technologie que parie Paul-Julius Reuter. Cette fois, la chance est avec lui : lorsqu’il ouvre son agence en octobre 1851, le premier câble sous-marin reliant l’Angleterre au continent entre Calais et Douvres vient d’être posé. Il est ainsi le premier à transmettre les cours de la Bourse entre Londres et Paris. 

Le succès, dès lors, sera foudroyant ! A la fin des années 1850, l’agence Reuter compte déjà parmi ses clients les principales banques de la City et la plupart des grands journaux anglais. « Follow the cable » _ « Suivez le câble » _, tel est, à partir de 1858, la devise de Reuter. Loin d’être un simple slogan publicitaire, elle est l’expression d’une véritable stratégie territoriale. Pour « suivre le câble », l’agence ouvre en effet, dès le début des années 1860, des bureaux à Paris, Berlin, Vienne, et Moscou. Elle est également la première à poser ses propres lignes télégraphiques, entre l’Angleterre et l’Irlande d’abord, puis à travers la mer du Nord, et enfin entre la France et les Etats-Unis, en association avec l’Anglo-American Telegraph Company. Elle est également la première à ouvrir un bureau hors d’Europe, en l’espèce à Alexandrie. Ce faisant, Reuters est la première agence de presse véritablement internationale. Une position que lui disputent rapidement ses deux concurrents historiques, Havas et Wolff. La bataille durera jusqu’au 17 janvier 1870. Ce jour-là en effet, les 3 agences signent un accord par lequel elles se reconnaissent mutuellement un contrôle exclusif de l’information sur leur territoire national et se partagent l’Europe et l’Amérique du Sud. 

Le succès de l’agence Reuters est donc inséparable du développement des liaisons télégraphiques transcontinentales qui lui permettent de diffuser très vite les nouvelles en provenance du monde entier. Dans les années 1870, alors que commence à émerger outre-Atlantique un grand capitalisme et que le flux des investissements internationaux se fait plus dense, Reuters est déjà leader mondial sur le créneau de l’information financière. Les informations qu’elle diffuse sont réputées pour leur intégrité et leur impartialité. Epuisé par une vie trépidante, Paul-Julius Reuter se retire progressivement des affaires à partir de 1878, laissant les rênes de l’agence à son fils Herbert. Il meurt en 1899 dans sa villa située sur les hauteurs de Nice.