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On l’a surnommé la « Colline enchantée ». Avec ses 165 pièces, ses jardins luxuriants, ses piscines intérieures et extérieures, et même son petit aéroport, Hearst Castle est bien plus qu’une simple résidence privée. Perché à 500 mètres d’altitude à San Simeon, entre Los Angeles et San Francisco, en Californie, il s’agit d’un véritable palais s’étendant sur près de 1.000 kilomètres carrés. Un domaine sans équivalent dans le monde, conçu par l’architecte Julia Morgan, la première femme architecte de Californie et l’une des pionnières de l’utilisation du béton armé dans cette région soumise à de forts mouvements sismiques.

A l’origine de cette réalisation exceptionnelle qu’il surnommait en toute simplicité « mon ranch de San Simeon » et pour laquelle il dépensa la bagatelle de… 750 millions de dollars, le magnat de la presse William Randolph Hearst. L’homme a servi de modèle au personnage de Charles Foster Kane, l’énigmatique héros du film « Citizen Kane », d’Orson Welles, sorti en 1941. Et Xanadu, le manoir aux allures de palais antique où réside Kane, ressemble comme deux gouttes d’eau à Hearst Castle.

Et c’est vrai que le parcours des deux magnats – le vrai et le personnage de fiction – présente de nombreux points communs. William Hearst en était d’ailleurs bien conscient, qui, mécontent du portrait que faisait Welles du personnage censé incarner sa propre maîtresse, chercha par tous les moyens à empêcher la sortie du film. En vain.

Jeunesse insouciante

Avant d’engloutir des centaines de millions de dollars dans la construction de son rêve californien, Hearst fut un patron de presse inspiré, inventeur, avec son grand rival Joseph Pulitzer, du « journalisme jaune » (« yellow journalism »), un genre fondé sur le sensationnalisme, les faits divers, les titres trompeurs et les fausses nouvelles. Cette formule fit sa fortune. Hearst ne partait pourtant pas de rien ; c’est même grâce à la fortune de son père qu’il a pu mettre un pied dans la presse.

Lorsqu’il naît à San Francisco en 1863, George Hearst est déjà un homme riche. Depuis 1859, ce fils d’un modeste fermier du Missouri qui a participé à toutes les grandes aventures minières de l’histoire des Etats-Unis – à commencer par la ruée vers l’or en Californie, en 1848 – est l’un des principaux actionnaires de l’Ophir Mine, qui exploite le plus important gisement d’argent métal du pays.

A San Francisco, où il grandit, le futur magnat de la presse connaît une jeunesse insouciante et dissipée. Admis à Harvard en 1882, il réussit même l’exploit de s’en faire expulser trois ans plus tard après avoir envoyé à des personnalités du campus des pots de chambre contenant leur photo. A vingt-trois ans, William n’a en réalité aucun goût pour les études. En désespoir de cause, son père lui confie en 1887 un quotidien qu’il a reçu en paiement d’une dette de jeu, le « San Francisco Examiner ». Pour le jeune homme, c’est une révélation…

Empire de presse

Le titre dont il prend la direction est alors en piteux état. Fondé en 1863 en pleine Guerre de Sécession, il a soutenu les Etats du Sud, défendu l’esclavage et tiré à boulets rouges sur Abraham Lincoln avant de sombrer une fois le Nord victorieux. Depuis, le journal se traîne. D’emblée, Hearst applique les recettes qui feront bientôt sa fortune. Ouvrant les colonnes à des journalistes de talent et à des écrivains aussi réputés que Mark Twain ou Jack London, il multiplie les articles à sensation et se spécialise dans la dénonciation des scandales locaux, n’hésitant pas à attaquer de front les entreprises et les élus auxquels sa propre famille est liée. Le succès ne tarde pas : en 1890, trois ans après sa reprise par Hearst, le « San Francisco Examiner » est devenu le premier journal de Californie.

C’est le début d’un étonnant parcours. Un parcours qui, en l’espace de quelques années, fait de William Hearst l’un des plus importants patrons de presse des Etats-Unis. A la veille de la Première Guerre mondiale, il est à la tête d’un véritable empire constitué de 28 quotidiens, 18 magazines, plusieurs agences de presse, des stations de radio, une maison d’édition, un studio de cinéma et une maison de production. En 1903, le magnat s’est fait élire à la Chambre des représentants, amorçant une carrière politique qui s’interrompra dès 1907. Il s’est également marié avec Millicent Veronica Wilson, une artiste de vaudeville de vingt ans sa cadette, qu’il fréquente depuis qu’elle a seize ans. Elle lui donnera cinq fils.

Du confortable bungalow…

Désormais chef de famille, William Hearst prend l’habitude de se rendre avec sa femme et ses fils en Californie, dans le ranch que son père a acquis en 1865 à Rancho Piedra Blanca près de San Simeon. Lui-même a fréquenté les lieux dans sa jeunesse et en a gardé un bon souvenir. A la mort de sa mère en 1919 – son père George, lui, est mort en 1891 – William hérite de la propriété. La maison est modeste et rustique, pour ne pas dire inconfortable. Mais elle est implantée sur un terrain de plus de 1.000 kilomètres carrés ! C’est alors que le magnat commence à mûrir ce qui deviendra Hearst Castle.

Son projet initial n’a rien de compliqué : il veut remplacer le vieux ranch de son père par un confortable bungalow où il pourra recevoir ses proches. C’est ce qu’il explique à Julia Morgan, qu’il a choisie comme architecte. Diplômée en génie civil de l’université de Berkeley et de l’Ecole nationale des beaux-arts de Paris, où elle a séjourné de 1892 à 1898, cette femme de quarante-sept ans, à la réputation déjà solidement établie, a fondé sa propre agence à San Francisco en 1904. C’est la mère de William Hearst, avec qui elle était amie, qui, peu de temps avant sa mort, l’a présentée à son fils.

Le projet évolue cependant très vite. Sous l’influence de Julia Morgan, qui conseille à Hearst de voir un peu plus grand et d’édifier une véritable villa dans le style « renouveau colonial espagnol », très à la mode depuis quelques années ? Sans doute un peu. Si William a changé ses plans, c’est surtout pour une autre raison. Depuis 1918, l’homme d’affaires de cinquante-cinq ans entretient une liaison avec une actrice de vingt et un ans, Marion Davies. Marion aime la lumière. Elle passe pour avoir du talent et bénéficie déjà d’une réputation flatteuse dans le monde du cinéma. C’est pour elle que William Hearst décide de changer ses plans et d’édifier une propriété grandiose, un véritable palais enchanté où ils pourront tous deux recevoir leurs amis.

Au palais enchanté

Exit donc le bungalow. Sur l’immense domaine hérité de son père, le magnat de la presse veut à présent bâtir une ville entière que son palais, érigé sur une colline, viendra surplomber à la manière des anciens châteaux royaux. Un projet fou ? Pas forcément à ce moment. A l’aube des années 1920, Los Angeles n’est encore qu’une grosse bourgade. Il y a de la place pour une ville nouvelle située entre cette dernière et San Francisco, distantes respectivement de 400 et 330 kilomètres, pense Hearst. Une ville dont il serait le créateur et qui serait réservée aux « people », une sorte de Beverly Hills avant l’heure en somme. Cette cité voulue par Hearst ne verra jamais le jour, et c’est finalement Los Angeles, où affluent les studios de cinéma depuis le début des années 1910, qui s’imposera comme la destination préférée des stars de Hollywood. Reste la colline enchantée, qui, elle, voit bel et bien le jour.

On n’en finirait pas de décrire Hearst Castle. La propriété ne compte pas une maison mais plusieurs. Construits au pied du palais principal d’une superficie de 6.300 mètres carrés (la Casa Grande), trois grands cottages (les Casa del Mar, del Monte et del Sol) sont destinés aux invités. Ils comptent à eux trois 60 chambres – des suites en réalité -, un nombre équivalent de salles de bains, 42 cheminées, 19 salons et près de 50 pièces à usage divers ! Pas de cuisine en revanche, ni de salle à manger. Les repas, préparés dans une imposante cuisine centrale, se prennent à la Casa Grande.

L’extérieur est de la même veine. On y trouve une piscine extérieure de 32 mètres de long (la piscine de Neptune), 51 hectares de jardin, plusieurs courts de tennis et le plus grand zoo privé du monde. Une piscine intérieure de 25 mètres de long, construite en tuiles de verre de Murano, et une salle de cinéma complètent le dispositif. Partout, des oeuvres d’art. William Hearst ne se contente pas, en effet, de gérer un empire de presse. C’est aussi un collectionneur vorace. Tapisseries, peintures de maître (dont un Tintoret), sculptures, antiquités égyptiennes, grecques ou romaines… La colline enchantée est un véritable musée.

Revers de fortune

Vingt-huit ans, de 1919 à 1947 ! C’est le temps qu’il faudra à Julia Morgan pour édifier la colline enchantée. Des délais étonnamment longs, qui s’expliquent autant par l’ampleur du projet que par les exigences du maître des lieux. Très impliqué dans le projet, Hearst n’hésite pas à faire refaire des pièces entières si elles ne lui plaisent pas. Les revers de fortune – notamment la crise économique des années 1930, qui porte un coup sévère à son empire – contribuent également à retarder les travaux. Il n’empêche que, dès la fin des années 1920, Hearst Castle est fréquenté par toutes les stars de Hollywood. Charlie Chaplin est un habitué, tout comme Cary Grant, Clark Gable, Gary Cooper ou Joan Crawford. Grand amateur de luxe, Winston Churchill y fait lui aussi quelques séjours. Lorsque les travaux s’achèvent enfin en 1947, Hearst a quatre-vingt-quatre ans. Les fêtes d’antan se font désormais très rares. Ayant perdu beaucoup d’argent dans les années 1930, le magnat préfère la villa qu’il a acquise en 1947 à Beverly Hills à sa colline enchantée. Après sa mort en 1951, ses héritiers, effarés par les coûts d’entretien de la propriété, en feront don à l’Etat de Californie.