Skip to main content

Créée en 1971, FedEx est aujourd’hui, avec 245 000 employés dans le monde, une présence dans 220 pays et un parc constitué de 600 avions et de 150 000 véhicules, le premier transporteur express au monde. A l’origine de ce succès, une innovation majeure due au fondateur de l’entreprise, Frederick W. Smith.

Cette innovation, c’est le « hub and spoke » (« concentrateur et rayon » en anglais), soit une architecture de réseau fondée sur un point central permettant de rayonner et d’atteindre des terminaisons situées à la périphérie. Ce principe fait aujourd’hui figure de standard incontournable dans le transport aérien. Le « hub », appelé aussi « plate-forme de correspondance », est un aéroport qui permet aux passagers de changer rapidement et facilement de vol. Destiné à optimiser le remplissage des avions, il a été appliqué pour la première fois, dans les années 1980, par les compagnies américaines avant d’être repris par l’ensemble des groupes du secteur. Pas un pays au monde qui n’ait aujourd’hui son ou ses hubs ! Couplé avec une synchronisation rigoureuse des vols domestiques et internationaux et une rotation accélérée des décollages/atterrissages, il a permis d’abaisser le coût du transport aérien dans des proportions non négligeables et d’améliorer de manière spectaculaire le bilan économique du secteur. La hausse continuelle du trafic aérien d’une année sur l’autre lui doit beaucoup. 

Recalé par son professeur !

Frederick W. Smith peut-il se douter de la postérité de son idée, ce jour de 1965 où, alors à l’université de Yale, il remet à son professeur d’économie une dissertation sur la logistique et le transport aérien ? Car le hub, avant d’être une réalité bien concrète qui va révolutionner le transport aérien, est le fruit des cogitations intellectuelles d’un jeune étudiant. Prenant l’exemple de l’industrie informatique, Smith explique en effet, dans sa dissertation, que les entreprises du secteur se battront de plus en plus sur le service, et notamment sur la capacité à livrer très vite à leurs clients du matériel ou des pièces détachées sur l’ensemble du territoire américain. Afin d’accélérer les opérations de livraison et d’en abaisser les coûts, il suggère donc la création de grandes plates-formes centrales à partir desquelles les constructeurs informatiques seront en mesure d’acheminer, par air et par route, tous leurs produits vers n’importe quelle ville des Etats-Unis et ce, en l’espace d’une nuit seulement. Au passage, le jeune étudiant estime qu’un tel modèle pourra séduire les banques, l’industrie pharmaceutique et même l’industrie alimentaire.

Pas du tout convaincu par la démonstration, son professeur d’économie lui attribue la plus mauvaise note, renvoyant le jeune Smith à ses études ! Ce dernier devait cependant conserver l’idée dans un coin de sa mémoire et la mettre en pratique quelques années plus tard… 

Entrepreneur dans l’âme

Frederick W. Smith aurait très bien pu se contenter de mener une vie dorée de rentier. Né à Marks (Mississippi) en 1944, il est le deuxième fils d’un homme d’affaires qui a créé l’une des plus grosses compagnies de transport par autobus de la région et une chaîne de restaurants implantée dans tout le sud des Etats-Unis. Mais il lui aurait fallu, pour pouvoir profiter pleinement de la fortune paternelle, attendre ses vingt et un ans. En effet son père va mourir jeune, en 1948, alors que Frederick n’est âgé que de quatre ans. L’argent de l’héritage est aussitôt placé sur un compte bloqué. Craignant que ses deux rejetons ne mènent la belle vie et ne dilapident le patrimoine familial, l’homme d’affaires a stipulé, avant de mourir, que pas un sou ne devait leur être versé avant leurs vingt et un ans ! Riche à millions mais ne pouvant en profiter dans l’immédiat, Frederick W. Smith devra s’inventer lui-même un destin. 

Par chance, le jeune garçon a hérité de son père la « bosse » du commerce. Il se découvre très tôt une passion : celle de l’aviation. Le mélange de deux vocations va se révéler très efficace. Dès l’âge de quinze ans, il, passe son brevet de pilote. Deux ans plus tard, alors au lycée, il fonde sa première entreprise : une petite compagnie aérienne. Utilisant un petit avion de location avec lequel il dessert plusieurs villes du Mississippi, il transporte non seulement des particuliers mais aussi des produits pour le compte des entreprises de la région. Pressées de livrer à leurs clients mais confrontées aux lenteurs et aux aléas du transport aérien traditionnel, celles-ci apprécient le « service rapide » que leur propose le jeune Frederick W. Smith. C’est alors sans doute que prend forme le sujet de sa future dissertation. 

Admis à Yale en 1962, diplômé en 1966, le jeune homme est incorporé cette année-là dans les marines et envoyé au Vietnam. Il y restera trois ans, servant comme pilote d’hélicoptère et décrochant même la « Silver Star » pour acte de bravoure. Lorsqu’il rentre aux Etats-Unis, en 1969, l’argent de son père est à sa disposition. Pour quelques dizaines de milliers de dollars, il achète en 1970 une petite société de maintenance aéronautique qu’il reconvertit dans l’achat et la revente de jets d’occasion. L’affaire marche bien qui lui rapporte en un an plusieurs millions de dollars. Mais Smith veut aller plus loin. Depuis quelque temps déjà, il pense à mettre en pratique l’idée qu’il avait exposée en 1965 dans sa dissertation de Yale. Si son professeur n’y a pas cru, lui y croit ! Ses expériences de lycée et surtout ce qu’il a vu au Vietnam _ où l’armée américaine a créé de gigantesques bases de regroupement et d’éclatement pour le matériel militaire _, tout le convainc de sauter le pas… 

Les débuts difficile de FedEx

Et c’est ainsi qu’en 1971, Frederick W. Smith crée Federal Express qui prendra en 2000 le nom de FedEx. Le projet de départ est un peu différent de ce qu’il deviendra par la suite. A ses clients industriels, le jeune entrepreneur propose en effet un service de livraison rapide _ vingt-quatre heures maximum _ vers 11 villes des Etats-Unis. Entre chacune de ces destinations, le transport se fera par voix aérienne et de nuit (période au cours de laquelle le trafic aérien est minimal), la distribution finale des produits s’effectuant ensuite par camions ou coursiers. Ainsi conçu, le projet repose non pas sur une seule mais sur 11 plates-formes de regroupement et de distribution interconnectées entre elles. 

Ce nouveau service, Smith le propose d’abord aux banques commerciales et à la Banque fédérale pour le transport rapide des chèques. Sur le papier, la solution proposée par le jeune entrepreneur est très séduisante : beaucoup plus efficace que le système traditionnel de distribution « point à point », elle permet en effet aux banques américaines d’économiser chaque jour 3 millions de dollars. Hélas, pas plus qu’elle n’a séduit en son temps son professeur d’économie, l’idée n’a pas de succès auprès des entreprises contactées. Pour leur première sortie, les avions de FedEx _ loués pour la plupart ou récupérés sur le stock de la petite société de location de jets rachetée en 1970 _ ne transportent… que sept colis ! L’échec est cuisant. 

D’où la deuxième idée : substituer aux liaisons entre les 11 villes, qui immobilisent de gros moyens et génèrent un trafic très dense et pas toujours rentable un nouveau système basé sur une plate-forme logistique unique, elle-même reliée à 25 _ et non plus seulement 11 _ cités américaines. C’est l’acte fondateur du « hub and spoke », dont la profitabilité est fondée sur l’effet de volume. Sa plate-forme, Smith décide de l’installer à Memphis (Tennessee), une ville qui, outre sa position centrale, à l’immense avantage d’être implantée au coeur d’une région au climat tempéré. Les brusques écarts de température ne risqueront pas, ainsi, de paralyser le trafic aérien. Pour acheminer les produits vers les 25 villes et de là les redistribuer, 14 avions _ des Falcon _ et plusieurs dizaines de camions sont achetés en une seule fois. 389 salariés sont également embauchés. Investissement considérable, pour lequel Smith doit mener au préalable des négociations d’autant plus épuisantes que ses premiers pas dans le transport aérien sont loin d’être concluants. Il n’en parvient pas moins à récolter 91 millions de dollars auprès de plusieurs fonds de capital-risque, lui-même ajoutant 4 millions de sa poche. 

La première sortie, effectuée en 1973, est décevante : 187 colis seulement. En fait, FedEx connaît des débuts très difficiles. En 1976, l’entreprise a déjà « mangé » la quasi-totalité de son capital de départ, suscitant des remous au sein du conseil d’administration. La raison de ces ratés : la concurrence des autres sociétés de transport express, comme UPS, créée en 1907, les restrictions législatives en matière de transport aérien, qui limitent le nombre, la taille et le rayon d’action des avions des nouvelles compagnies, mais aussi et surtout, la brusque _ et inattendue _ flambée du prix du pétrole consécutive au premier choc pétrolier de 1973. Trois ans après sa création, la situation financière de FedEx est à ce point désespérée que Smith en est réduit, pour payer ses salariés, d’abord à injecter dans la société ce qu’il lui reste de fortune personnelle, puis à parier au « blackjack » ! Par chance, sa première tentative à la table de jeu est un succès et les 27.000 dollars qu’il gagne ce jour-là sont aussitôt réinvestis dans l’entreprise… 

Le décollage

Le décollage de FedEx se produit vraiment à partir de 1977 avec la levée des restrictions fédérales au transport aérien. Elle permet à la société de se doter de gros-porteurs _ notamment des Boeing 727 _ et d’étendre son réseau à la quasi-totalité des villes des Etats-Unis. Dans le même temps, l’entreprise développe considérablement ses moyens, rachetant des entreprises régionales de transport routier _ le parc de camions de FedEx représente aujourd’hui plus de 40.000 véhicules _ et jouant à fond la carte de l’innovation. Elle est ainsi la première société de transport au monde à installer, en 1980, des ordinateurs embarqués à bord de ses camions et de ses véhicules de course, la première également à lancer un service de livraison « haute priorité », la première encore à proposer une garantie de remboursement. 
En optimisant au maximum le transport de marchandises _ ce que reprendront plus tard à leur compte les compagnies aériennes _ le système du « hub » permet en outre à la compagnie d’engranger de beaux profits tout en offrant à ses clients un service performant au meilleur prix. Au début des années 1970, la réputation d’efficacité de FedEx est telle qu’il se murmure que les cadres du siège de la banque Merril Lynch, à Manhattan, préfèrent faire appel à elle plutôt qu’au service postal interne pour se transmettre des documents d’un étage à l’autre ! Preuve de ce succès : en 1984, FedEx fête son premier milliard de dollars de chiffres d’affaires. 

Paradoxalement, cette même année, Smith commet un coûteux faux pas en créant un service express de fax et de distribution de courrier. Lancé alors que les fax sont encore une rareté, il doit être fermé cinq ans plus tard, toutes les entreprises s’étant dans l’intervalle dotées de ce type de matériel… L’affaire coûte à FedEx plusieurs dizaines de millions de dollars. 

Au milieu des années 1980, Smith a cependant gagné son pari. Couvrant tous les Etats-Unis, le système du « hub and spoke » peut dès lors être étendu à l’ensemble de la planète. C’est chose faite dès 1984, date à laquelle un service de livraison est organisé en Europe et en Asie. Au début des années 1990, l’entreprise est déjà présente sur tous les continents à travers un réseau de « hubs » créé sur le modèle de celui de Memphis. Des positions qu’elle ne cessera de conforter jusqu’à nos jours.  Quant à Frederick W. Smith, il a dirigé son groupe jusqu’en mars 2022, date à laquelle il a transmis le flambeau à son numéro 2, Raj Subramanian.