Skip to main content

Onze mille entreprises dont Apple, Yahoo, Google, eBay et Facebook, près de 1,6 million d’emplois, un PIB de l’ordre de 500 milliards de dollars, des investissements annuels supérieurs à 10 milliards de dollars… Située dans la partie sud de la baie de San Francisco, au coeur de la Californie, la Silicon Valley – la « vallée du silicium », un nom forgé en 1971 par le journaliste Don Hoefler en référence au matériau de base des composants électroniques – incarne à elle seule la domination des Etats-Unis dans le domaine des industries de pointe et de haute technologie. Championne du monde incontesté de la création de valeur, elle est le fruit d’une exceptionnelle combinaison de facteurs : une concentration de matière grise sans équivalent dans le monde due à l’existence de pôles universitaires performants – dont l’Université Stanford -, des liens très étroits entre le monde universitaire et celui des affaires, la présence de toutes les grandes firmes de capital-risque, sans parler, bien sûr, du climat, qui contribue à attirer dans la région des scientifiques venus de tous les horizons. Car la Silicon Valley est un véritable condensé du monde : séduits par des formations d’excellence et par la possibilité de trouver très vite un emploi, des étudiants venus du monde entier affluent en effet dans la région. S’ajoute à tous ces facteurs un état d’esprit très particulier où un goût certain pour le risque fait bon ménage avec une culture contestataire et idéaliste héritée de la Californie des années 1960. Contrairement à une idée très répandue, les start-up de la Silicon Valley n’ont en effet, sur le plan technique, pas inventé grand-chose. Ni l’ordinateur personnel, ni le transistor, ni Internet, ni le microprocesseur n’ont en effet vu le jour en Californie. Mais, à tous ces produits, les enfants prodiges de la Silicon Valley ont apporté leur touche personnelle et leur vision du monde : la volonté de rendre l’ordinateur convivial et accessible à tous pour le fondateur d’Apple, l’accès universel à la connaissance pour les créateurs de Google ou bien encore la possibilité pour chacun de communiquer aisément d’un bout à l’autre de la planète pour le père de Facebook. A bien des égards, le succès phénoménal de la Silicon Valley s’est bâti sur des rêves. Des rêves qui ont généré des milliards de dollars de profit…

L’histoire de la Silicon Valley ne commence pas dans les années 1960, avec le premier essor de l’informatique, ou une décennie plus tard avec l’invention du microprocesseur. Si ces deux événements font entrer la région dans une nouvelle ère, cela fait longtemps, à ce moment, que la zone située autour des villes de San Jose et de Palo Alto accueille des industries de pointe. En l’espèce, tout débute véritablement en 1909 lorsqu’un ancien étudiant de l’université Stanford, crée à Palo Alto la Federal Telegraph Company (FTC) pour exploiter le brevet de Poulsen sur les émissions radio à arc électrique. Alors que la radio n’en est encore qu’à ses balbutiements, la compagnie s’impose très vite comme l’un des principaux réseaux américains. Dans le même temps, une multitude de petites compagnies voient le jour afin de proposer des services de radiocommunication aux voiliers et bateaux de commerce qui sillonnent la baie de San Francisco. Leurs fondateurs viennent presque tous de l’Université Stanford, qui dispose, depuis 1893, d’un département spécialisé dans les communications électriques. Un département fondé au départ pour accompagner l’électrification de la Californie mais qui forme de plus en plus des experts en radiocommunication. Dès cette époque, l’une des clefs du succès de la future Silicon Valley – des passerelles permanentes entre l’Université et l’entreprise – est en place. Dans cette émergence progressive d’une région vouée aux industries de pointe, une autre institution joue un rôle capital : la Défense, et notamment le département de la Marine. Dès 1912, celui-ci signe un contrat avec la FTC afin de prendre en charge ses communications radio. Vingt ans plus tard, en raison du caractère stratégique de la baie de San Francisco, une importante base navale est créée entre Palo Alto et San Jose. Elle favorise l’éclosion d’une nouvelle vague de sociétés intervenant dans le domaine des radiocommunications mais aussi, déjà, dans celui de l’électronique de bord.

Sur les rails dès le début du siècle, la Silicon Valley n’aurait cependant jamais vu le jour sans l’intervention décisive d’un professeur de Stanford : Fred Terman. Né en 1900 dans l’Indiana, le « père de la Silicon Valley », comme on le surnomme outre-Atlantique, arrive en 1905 en Californie, où son père a décidé de s’installer pour soigner une tuberculose chronique. Titulaire d’un doctorat en chimie, il poursuit ses études au Massachusetts Institute of Technology (MIT), où il décroche un doctorat en ingénierie électrique. Au MIT, il étudie sous la direction de Vannevar Bush, futur conseiller du président Roosevelt, qui, durant la Seconde Guerre mondiale, devait conduire les grands programmes fédéraux de recherche scientifique. Bush allait, lui aussi, jouer un rôle important dans l’essor de la Silicon Valley. Pour l’heure, ses études achevées, Fred Terman s’en retourne en Californie. Le voilà désormais professeur d’électricité et d’électronique à Stanford. Nous sommes alors au début des années 1930. Très attaché à son Etat d’adoption, Terman fait tout pour convaincre ses étudiants de créer sur place des entreprises plutôt que de rejoindre les grands groupes de la côte Est, durement frappés par la crise économique. Dès cette époque, le professeur Terman considère que l’Université Stanford a vocation à devenir un véritable incubateur pour des sociétés d’électronique. Une conception qui séduit plusieurs de ses étudiants, à commencer par David Packard et William Hewlett. En 1939, poussés par Fred Terman, ils créent à Palo Alto la société qui, aujourd’hui encore, porte leur nom et dont le produit phare est un oscillateur audio de précision. Les studios Walt Disney, leur premier client, achètent à la jeune société huit de ses appareils pour un montant total de 572 dollars…

Outre-Atlantique, Hewlett-Packard passe pour avoir donné le coup d’envoi à l’histoire de la Silicon Valley. Une réputation un peu usurpée au demeurant, plusieurs étudiants de Fred Terman ayant créé, avant David Packard et William Hewlett, des sociétés d’électronique et d’électricité autour de Palo Alto et de San Jose. Si elle n’est donc pas la première société de la vallée, Hewlett-Packard est en revanche la première à concentrer tous les ingrédients du mythe de la Silicon Valley : les fondateurs sans le sou – la société est créée avec 580 dollars -, le modeste garage de Palo Alto où sont fabriqués les premiers oscillateurs audio et qui est classé aujourd’hui monument national de l’Etat de Californie, la croissance fulgurante (le premier million de dollars de chiffre d’affaires est atteint dès 1943) et surtout l’état d’esprit « start-up », incarné par la célèbre « HP Way ». Mise en place dès 1939, celle-ci entend promouvoir un management ouvert et convivial que symbolise la possibilité, pour chacun, de s’adresser directement aux fondateurs.

Dès la fin des années 1930, grâce à l’action déterminée de Fred Terman, la région située autour de la baie de San Francisco accueille déjà une soixantaine d’entreprises que rejoignent un flot croissant de jeunes diplômés de Stanford. Des sociétés qui, durant la Seconde Guerre mondiale, grâce aux relations nouées entre Fred Terman et Vannevar Bush, obtiennent une part importante des commandes du département de la Défense. C’est à Palo Alto, ainsi, que seront inventés ou perfectionnés les systèmes de détection radar utilisés par l’US Navy ou l’US Air Force. Les destinées de la Silicon Valley auraient sans doute été bien différentes sans la guerre et les injections massives de fonds fédéraux. Celles-ci ne profitent d’ailleurs pas exclusivement aux entreprises de la région : l’Université Stanford bénéficie aussi largement des fonds publics. Ils permettent à Fred Terman de parrainer la création de nouvelles entreprises.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que la guerre froide a encore accru le caractère stratégique des technologies de pointe, Fred Terman obtient de mettre à la disposition des sociétés créées par d’anciens étudiants de Stanford 3.200 hectares de terres appartenant à l’université. Ainsi naît, en 1953, le Stanford Industrial Park, qui, dès sa création, accueille une centaine d’entreprises. Deux ans plus tard, Terman crée le Honors Cooperative Program, qui offre aux entreprises de la région un accès privilégié aux programmes de recherche de l’université. Il ne reste désormais plus qu’à faire venir les firmes de capital-risque. L’Etat fédéral, dans l’affaire, joue un rôle clef en faisant voter, en 1958, le Small Business Investment Act, qui permet à des organismes de financement à capitaux privés investissant dans des créations d’entreprises d’emprunter jusqu’à trois fois leurs capitaux avec la garantie de l’Etat. En 1960, une première firme de capital-risque s’implante en Californie : Davis and Rock. En 1962, elle réalise son premier grand « coup  » en investissant 280.000 dollars dans Scientific Data Systems, une société créée l’année précédente qui fabrique des ordinateurs destinés à la Nasa. Sept ans plus tard, la vente de sa participation lui rapporte pas moins de 990 millions de dollars ! La Silicon Valley est désormais en marche…

 

Leave a Reply