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Ils incarnent, à eux deux, tous les clichés de la « success story » à l’américaine : l’entreprise fondée dans un garage en Californie, les débuts modestes avec un peu plus de 500 dollars en poche, la fabuleuse croissance du chiffre d’affaires, passé en vingt ans à peine de 35 000 à 200 millions de dollars…Des clichés qui, en l’espèce, correspondent bien à la réalité : Bill Hewlett et David Packard ont bien commencé, en 1939, dans un modeste garage, celui des parents de David Packard. Quant à leur groupe, Hewlett-Packard, le premier fabricant d’ordinateurs au monde au début des années 2000, il affichait en 2014, avant sa scission en deux entités distinctes, un chiffre d’affaires de 103 milliards de dollars…Véritable référence dans son secteur, il fut un passage obligé pour nombre de « princes de la high tech », Steve Jobs en tête. En 1967, à l’âge de 12 ans, le futur fondateur d’Apple n’avait pas hésité à téléphoner à Bill Hewlett pour lui demander des pièces détachées destinées à un appareil qu’il était en train de bricoler. L’industriel lui avait, en plus, proposé un job pour l’été suivant. Steve Wozniak, l’autre créateur d’Apple, fit également ses premières armes chez Hewlett-Packard.  Mais Bill Hewlett et David Packard ne sont pas seulement les fondateurs de l’un des plus grands groupes mondiaux d’électronique. Ils sont également considérés comme les créateurs de la Silicon Valley. De manière significative, le célèbre garage de Palo Alto a été officiellement déclarée, en 1989, « lieu de naissance de la Silicon Valley ». Une réputation un peu usurpée au demeurant.

L’histoire de Bill Hewlett et de David Packard est d’abord celle d’une amitié indéfectible. Jusqu’à la mort de David Packard, en 1996 – cinq ans avant celle de Bill Hewlett – les deux entrepreneurs firent en effet montre, l’un envers l’autre, d’une très grande loyauté. Jamais il n’y eut entre eux – du moins en public – l’ombre d’un désaccord. Cette amitié prend forme au début des années 1930, sur le campus de l’Université de Stanford où Bill Hewlett et David Packard se sont tous les deux inscrits en électronique. Né en 1913, le premier est le fils d’un éminant professeur de médecine de l’université de Stanford. Quant à David Packard, son cadet d’un an, il est le fils d’un procureur. C’est aussi un sportif émérite et charismatique, l’un des piliers des équipes de football du collège puis de l’université. Issus l’un et l’autre de la bonne bourgeoisie, les deux jeunes gens se passionnent pour la radio, un media jeune encore mais en plein essor. Une passion qui les pousse à rejoindre, en 1930, le département électronique de l’Université de Stanford.

L’histoire raconte que c’est sur le terrain de football du campus que Bill et Dave se prirent d’amitié l’un pour l’autre. Dans les faits, leur relation se noue sur les bancs de la faculté, lors des cours d’électronique dispensés par une « figure » de l’université de Stanford qui allait jouer un rôle capital dans la suite de l’histoire : Fred Terman. Né en 1900, celui que l’on considère comme le véritable « père de la Silicon Valley » dirige alors le département électricité et électronique de Stanford.  A ses yeux, l’université doit devenir un véritable incubateur pour des sociétés d’électronique, un secteur dont il pressent les développements futurs, notamment pour le département de la Défense. Cette idée allait donner naissance à la Silicon Valley. Fondateur d’un laboratoire d’électronique situé à la pointe de la recherche, il pousse les meilleurs de ses étudiants à se lancer, sur place en Californie, dans l’aventure entrepreneuriale. Parmi ses protégés : David Packard et Bill Hewlett.

Les deux jeunes gens attendront cependant plusieurs années avant de franchir le pas, même si dès 1934, à l’occasion de vacances communes, ils se font la promesse mutuelle de faire un jour du « business ensemble ». Pour l’heure, son diplôme en poche, David Packard se fait embaucher en 1935 par le groupe General Electric. Le voilà à New-York, très loin de la Californie, affecté comme responsable d’exploitation d’une usine de tubes à vide. Il a vite fait de s’y ennuyer, tant la hiérarchie et les procédures de General Electric lui semblent pesantes. Il y apprend en revanche les réalités de la production industrielle, une expérience qui lui sera très utile par la suite. Il y développe également une nouvelle façon de diriger les hommes, fondée sur le dialogue et la délégation d’autorité. En 1938, lassé par General Electric et pour la plus grande joie de Fred Terman qui n’avait jamais vraiment compris son choix, il retourne à Stanford pour parfaire sa formation en électronique. Il y retrouve Bill Hewlett qui, de son côté, après avoir décroché un diplôme du MIT, est devenu l’assistant de Fred Terman. C’est là, sur le campus de l’université, alors qu’ils achèvent de mettre au point, ensemble, un modèle d’oscillateur audio – un appareil de test destiné aux ingénieurs du son – que leur professeur les pousse à créer leur entreprise pour exploiter leur découverte. Cette fois, les deux étudiants décident de se lancer dans l’aventure.

L’affaire est créée en janvier 1939 avec un capital de départ de 588 dollars. Après avoir testé plusieurs noms, Bill et Dave ont décidé de baptiser leur entreprise Hewlett-Packard, l’ordre des patronymes ayant été tiré au sort en jetant en l’air une pièce de monnaie ! Faute de moyens, c’est dans le minuscule garage des Packard, à Palo Alto, que les deux entrepreneurs ont installé leur atelier, la salle à manger étant pour sa part convertie en bureau. Grâce à l’intervention de Fred Terman, huit oscillateurs sont achetés par la compagnie Disney afin de synchroniser le dessin animé Fantasia, le tout pour 34 396 dollars. L’année suivante, la petite entreprise a déjà 5 salariés et de nouveaux bureaux à Palo Alto, le cœur de la future Silicon Valley.  Elle n’est pas la seule, loin de là ! Une cinquantaine d’entreprises, la plupart créée sur les conseils de Fred Terman, s’y sont déjà installées. C’est cependant Hewlett-Packard qui connaît la croissance la plus rapide, grâce notamment aux commandes de la Marine. Entre 1941 et 1945, la firme conçoit ainsi une dizaine de nouveaux produits pour l’US Navy, notamment des générateurs de signaux et des brouilleurs de radars. En 1950, Hewlett-Packard compte 220 salariés pour un chiffre d’affaires de près de 6 millions de dollars.

Commence alors une étonnante aventure industrielle qui poussera le groupe à se lancer successivement, avec succès, dans la fabrication de calculateurs, d’imprimante puis de micro-ordinateurs, accompagnant ainsi la révolution technologie de la seconde moitié du XXème siècle.  Entre les deux associés, les tâches sont clairement réparties : fort de son expérience chez General Electric, David Packard suit les fabrications et, de manière générale, l’administration du groupe. Quant à Bill Hewlett, il est l’homme de la technique et des nouveaux produits. Après avoir co-dirigé la firme entre 1939 et 1947, les deux hommes la président alternativement, David Packard de 1947 à 1964, Bill Hewlett de 1964 à 1977. Ils se succèdent également à la direction générale. Mais dans les faits, c’est ensemble qu’ils prennent les grandes décisions intéressant l’avenir du groupe, y compris sur le plan technique, n’hésitant à abandonner du jour au lendemain des pistes qui leur semblent sans issue ou, au contraire, à investir lourdement pour assurer le développement d’un produit prometteur. Entre les deux hommes, qui ont une formation commune et une même sensibilité produits mais qui partagent également les mêmes valeurs et une même modestie, les discussions sont incessantes.

De la force des liens qui unissent Bill et Dave témoigne notamment la fameuse « HP Way », une conception du management des hommes sans équivalent alors dans le capitalisme. Est-ce un effet de leur éducation libérale ? Ou la conviction que, dans le secteur nouveau qui est le leur, il n’est pas possible d’appliquer les  « recettes » traditionnellement en usage dans le monde des entreprises ? Toujours est-il qu’en 1957, alors que le groupe emploie déjà plus de 2000 personnes,  les deux hommes définissent, ensemble, la façon dont leur firme doit être dirigée. L’idée centrale : ce sont les salariés, et non les produits, qui constituent la principale ressource de l’entreprise. « Nous croyions énormément aux gens. Pour nous, l’objectif était que chacun cherche à s’amuser et à s’accomplir dans son travail », écrira plus tard David Packard dans son ouvrage « The HP Way ». A une époque où les méthodes de management classiques reposent sur des structures très hiérarchisées et l’obéissance silencieuse des salariés, Hewlett et Packard privilégient le contact et le dialogue directs au point de s’asseoir, lors des réunions, au milieu de leurs employés. Au siège de la compagnie, tous les bureaux sont aménagés en « open space ». L’entreprise est également la première, outre-Atlantique à introduire le temps flexible, à proposer des cours du soir, à mettre en place un système d’assurance-maladie ou bien encore à offrir des bonus. Lorsque Hewlett-Packard est introduite en bourse, en 1957, tous les salariés se voient offrir des actions.  Dans la conduite des opérations, la décentralisation et le sens de l’initiative font figure de principes de base.

Lorsque Bill Hewlett et David Packard quittent tous les deux la direction opérationnelle du groupe, en 1978 – le second après avoir été Secrétaire d’Etat adjoint à la Défense dans l’Administration Nixon, entre 1969 et 1971 – la firme qu’ils ont fondée en 1939 réalise un chiffre d’affaires de 900 millions de dollars et emploie 40 000 personnes dans le monde. Les deux hommes resteront au conseil d’administration pendant plusieurs années encore – Bill Hewlett jusqu’en 1987, David Packard jusqu’en 1993.

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