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Petite-fille de mineur

La réussite de Denise Coates, c’est un peu celle de Stoke-on-Trent, une ville frappée par la désindustrialisation et qui, dans les années 1980, perdit tour à tour ses mines et les entreprises de poterie qui faisaient sa réputation. Pour comprendre les ressorts de son succès, il faut évoquer la figure de son père, Peter Coates, fils de mineur et dernier-né d’une fratrie qui de 14 enfants. L’homme est aujourd’hui, aux côtés de sa fille et de l’un de ses fils, l’un des principaux actionnaires de Bet365. Président du club de football de Stoke-on-Trent, il est aussi discret que sa fille – il habite d’ailleurs la maison voisine de la sienne – et ne possède ni yacht ni voiture de luxe.

Né en 1938 à Stoke-on-Trent, il connaît une jeunesse pauvre. Sa passion, c’est le football, un sport auquel il joue assidûment et qui ne cessera d’accompagner sa vie. Contraint de quitter l’école à 14 ans pour travailler,  il devient garçon de bureau puis est embauché par une chaîne nationale de restaurants. On le retrouve à la fin des années 1960 directeur régional de l’enseigne, toujours aussi passionné de football – il joue en amateur au club de Stoke-on-Trent – et à la tête d’un joli pécule, fruit de son travail et d’un train de vie très économe. De l’argent qui lui permet de créer en 1968, à l’âge de 30 ans, une société de restauration et de services tournée spécifiquement vers les clubs de football.

L’affaire, qu’il dirigera jusqu’en 2001, est suffisamment prospère pour lui permettre de racheter, en 1974, trois magasins de paris sportifs. C’est le point de départ d’une véritable chaîne qui, au milieu des années 1990, compte une cinquantaine de boutiques situées dans le centre et l’ouest de l’Angleterre et exploitées sous l’enseigne Provincial Racing.   Devenu une figure de Stoke-on-Trent, Peter Coates a également créée une radio privée et pris la majorité du capital du club de football de sa ville natale dont il assure la présidence et qu’il propulsera en première division.

Rigoureuse, rationnelle, méthodique…

Denise est la première de ses quatre enfants. Née en 1967, elle connaît une une jeunesse sans histoire à Stoke-On-Trent.  Quand elle n’est pas à l’école, où elle se révèle une élève brillante, l’adolescente travaille dans l’une ou l’autre des boutiques de Provincial Rates et au service comptabilité de la chaîne. C’est alors qu’elle s’initie au monde des paris et des jeux, un univers très spécial dans lequel l’argent liquide coule à flot et dont les adaptes appartiennent à toutes les couches sociales et à toutes les tranches d’âge de la population.

Ses études secondaires achevées, la jeune femme intègre l’Université de Sheffield dont elle sort diplômée au début des années 1990. Sa spécialité : l’économétrie, une branche des sciences économiques dont l’objectif est de décrire et tester les modèles économiques, notamment par des analyses statistiques et mathématiques. Une spécialisation bien austère, assurément, mais qui en dit long sur le profil de Denise Coates. Rigoureuse, rationnelle, méthodique et maîtrisant parfaitement les outils mathématiques : ainsi apparaît cette jeune femme de 25 ans qui se passionne pour la finance. Aussi est-ce sans surprise qu’elle devient, à sa sortie de l’Université, directrice financière de Provincial Racing.

Il ne lui faut que quelques mois pour moderniser et clarifier les flux comptables, mettre en place des règles de transparence – encore peu appliquées dans le secteur – et améliorer la rentabilité des magasins. Son père est si impressionné par son travail qu’en 1995, il lui confie la direction générale de la chaîne. Deux ans plus tard, elle a négocié un emprunt de plusieurs millions de livres avec la Barclays et, avec cet argent, acquis de petites chaînes concurrentes et des salles de paris. Jusque-là relativement modeste, Provincial Racing est devenu un petit empire.

Des boutiques de paris aux paris en ligne il n’y a qu’un pas… Il est franchi en 2000. Cette année-là, Denise Coates prend conscience des bouleversements qu’Internet est sur le point de provoquer dans le secteur des jeux. L’avenir est aux paris en ligne ! Cette conviction, la jeune femme n’est pas la première à l’avoir. Le premier site de jeu en ligne – en fait un « casino en ligne » – est apparu aux Etats-Unis dès 1996. Quatre ans plus tard, près de 500 sites de jeux et de paris ont vu le jour. Mais la plupart d’entre eux sont peu attractifs, pas toujours fiables et ne disposent que d’une audience limitée. Ils se concentrent en outre sur un seul type de sport ou de jeu. En 2000, le nombre de joueurs sur internet dans le monde est estimé à 8 millions de personnes. Les marges de développement sont donc très importantes, pour peu que l’on invente de nouvelles règles, que l’on tire parti de toutes les opportunités offertes par internet et, surtout, que l’on se fasse connaître d’un grand nombre de joueurs. Ce qui suppose d’investir lourdement. C’est exactement ce que va faire Denise Coates. Elle va, ce faisant, bouleverser le monde des jeux et des paris en ligne. 

En janvier 2000, la jeune femme acquiert en effet pour une poignée de livres un nom de domaine inutilisé :  Bet365. Son idée est d’en faire le point de départ d’un site d’un nouveau genre capable de séduire tout ce que l’Angleterre compte de joueurs. Mais pour mener à bien son projet, il lui faut de l’argent, et même beaucoup. Pas de problème pour Denise Coates : depuis Provincial Racing, elle sait comment s’y prendre. Cette même année 2000, elle négocie un emprunt de 18 millions de livres avec Royal Bank of Scotland. Une somme très importante à cette époque et pour ce type d’activité. Mais aussi un vrai risque dans un secteur qui est encore loin d’avoir trouvé ses marques et que les investisseurs connaissent mal. Dans l’affaire, Denise Coates n’a pas hésité à engager, avec l’accord de son père, l’avenir de Provincial Racing, qui a servi de garanti au prêt. Le père et la fille n’auront pas à le regretter. Quant à l’emprunt, il sera remboursé dès 2005 grâce au produit de la vente de Provincial Racing, cédé à Coral pour 40 millions de livres. Pendant un an, celle qui est toujours directrice générale de la chaîne familiale de boutiques de paris peaufine son projet. De la société créée pour l’occasion, elle possède un peu plus de 50% du capital, aux côtés de son père et de son frère John, un avocat de profession, qui, de leur côté, en contrôlent 43%

Une entrepreneure visionnaire

Le site Bet365 est lancé au début de l’année 2001 dans des locaux provisoires situés près d’un parking dans le centre de Stoke-on-Trent et avec une poignée de salariés, venus pour la plupart de Provincial Racing. Forte des 18 millions de livres prêtés par Royal Bank of Scotland, Denise Coates a frappé fort et multiplié les innovations. Sur le plan informatique d’abord : loin d’acheter un logiciel sur le marché et de le « mettre à sa sauce », comme le font alors tous ses concurrents, l’entrepreneure a développé, en interne, son propre système. Elle est la première à le faire. Sans doute sa mise au point a-t-elle consommé beaucoup de temps et d’argent. Mais l’enjeu, pour Denise Coates, est important. Son logiciel maison ne permet pas seulement à Bet365 d’avoir son propre interface et, ce faisant, sa propre signature graphique. Grâce à lui, l’accès au site est simple, confortable et surtout très sûr, un atout clé pour les joueurs qui commencent à déserter les boutiques de paris pour aller tenter leur chance sur Internet. 

  Mais ce n’est pas là la seule innovation. L’autre, plus essentielle – et rendue possible par le logiciel développé en interne – consiste à permettre aux joueurs de parier non pas sur un seul sport – généralement le football – mais sur toutes les compétitions qui se tiennent à un moment donné, y compris dans des sports peu connus ou confidentiels. Mieux ! Loin de se limiter à la Grande-Bretagne, les possibilités de parier sont étendues à l’ensemble du monde. En clair, grâce à Bet365, un joueur est en mesure de miser sur n’importe quel type de compétition sportive organisée dans n’importe quelle partie du monde. Pour attirer les joueurs, Denise Coates invente un procédé marketing promis à un bel avenir : les paris gratuits. Ils ne sont certes pas rentables. Mais ils permettent de constituer des bases de données et d’amorcer un premier contact avec les joueurs.  

Paris gratuits, offre très large, vision mondiale : dans la jeune industrie des jeux et des paris en ligne, il s’agit de premières qui feront rapidement figure de standards. On comprend mieux, dans ces conditions, le temps – et les moyens financiers ! –  qu’il a fallu à Denise Coates pour mettre au point son projet et les problèmes qu’elle a dû essuyer au début de l’aventure – à commencer par quelques « bugs » informatiques retentissants ! Cette idée d’offrir une large gamme de possibilités la pousse à sortir très tôt des seuls paris sportifs pour se développer dans le casino en ligne : Bingo, poker, roulette, blackjack en attendant, plus tard, les jeux d’aventure en réseau… Dès 2003-2004, Bet365 est devenu un site de paris « full services ». Il s’agit, là encore, d’une première. Pour mener à bien cette stratégie de diversification, Denise Coates n’hésite pas à acquérir des sites de jeux en ligne – notamment de poker ou de compétition hippiques –, ce qui lui permet de mettre la main sur de nouvelles bases de données. Grâce aux moyens dont il dispose, Bet365 peut outre sponsoriser des compétitions sportives, lui garantissant ainsi une forte visibilité, notamment sur les écrans de télévision.  Ce que Denise Coates crée au final, c’est la première « multinationale » des jeux en ligne.

Les résultats le prouvent :  20 ans après sa création, Bet365  emploie plus de 4000 salariés, attire des mises de l’ordre 45 milliards de livres par an et réalise un chiffre d’affaires annuel de 2,9 milliards de livres.  Figurant parmi les tout premiers groupes mondiaux du secteur, le site s’est délocalisé à Gibraltar pour des raisons fiscales en 2015. Mais il reste le premier employeur de Stoke-on-Trent. Quant à sa créatrice, toujours fidèle à sa ville natale, elle est aujourd’hui, avec une fortune de 6,4 milliards de dollars, la femme la plus riche de Grande-Bretagne.

Illustration. Pascal Garnier